La diversité en création de tapis

Bien que le hookage était surtout une affaire de femmes et de filles, les hommes et les garçons ont certainement joué un rôle dans son histoire. Des outils à l’ergothérapie, la participation des hommes dans le hookage de tapis n’est pas négligeable.

Les enfants

Quand les femmes planifiaient un nouveau tapis, c’était une affaire de famille. Thérèse Melanson, notamment, se rappelle que sa mère installait toujours un coin où elle empilait des vêtements de laine usés. Les enfants devaient apprendre à défaire toutes les coutures pour qu’on puisse enfin se servir du tissu pour hooker. C’est comme ça qu’ils savaient qu’un nouveau tapis s’en venait. Les garçons et les filles devaient défaire les coutures et parfois même couper le tissu en lisières.

En 2009, lors du premier registre de tapis, à Saint John, un homme a raconté une histoire de son enfance. Sa mère étant hookeuse, il avait toujours la hantise de faire un trou dans ses sous-vêtements de peur que sa mère les prenne et les transforme en tapis.

On dit que ces sous-vêtements de laine faisaient de belles fleurs. Dans les Maritimes, le fabricant de sous-vêtements Stanfield’s Ltée est bien connu et tant les francophones que les anglophones appellent leurs sous-vêtements longs (ou « long johns ») des « Stanfields » comme l’entreprise qui les fabriquait.

Les marins

On entend aussi des histoires de marins de villages côtiers qui hookaient sur leur bateau pendant leurs longues traversées, ou à la maison pour passer le temps durant les longs mois d’hiver. On dit aussi que les pêcheurs, très habiles pour fabriquer et réparer les filets, se servaient de ces outils, ou d’outils semblables modifiés, pour hooker des tapis hors saison de pêche. Il semble que les marins britanniques et écossais fabriquaient aussi des tapis avec une technique qu’ils appelaient « proddy », « proggy » ou « thrumming » ; on poussait des lisières de tissu à travers les trous du jute du dessus vers le dessous du tapis.

Guérir le corps et l’esprit

Mais le hookage, qu’il soit destiné au plancher ou au mur, peut aussi aider à guérir l’esprit et le corps.

Durant et après les Première et Seconde Guerres mondiales, les soldats ont commencé à revenir chez eux blessés, tant physiquement qu’émotivement. C’est à l’aide de l’ergothérapie qu’ils faisaient leur réadaptation. Certains étudiants sortant du programme d’Arts appliqués de l’Université Mount Allison à Sackville sont devenus ergothérapeutes, ou comme on les appelait à cette époque, aides d’unité. La demande était croissante pour des artisans et artisanes qualifiées qui pourraient fournir des connaissances, de l’appui et des services aux soldats blessés. Des artistes et des artisans travaillaient bénévolement pour aider en cette qualité.

Une fois qu’il avait établi une relation avec le patient, l’artiste devait évaluer ses besoins et ses capacités. Puis, avec le soldat, ils choisissaient l’activité ou le métier d’art qui lui serait le plus bénéfique. Ce devait être une activité qu’il pouvait et voulait faire, ou qui pouvait être adaptée à ses aptitudes. Le hookage et d’autres métiers pouvaient aider les soldats à recouvrer leur force musculaire, leurs habiletés motrices et même leurs capacités cognitives grâce à la prise de décision et au design.

Pegi Nicol MacLeod, une artiste du Nouveau-Brunswick installée à New York, a répondu à un appel du Modern Museum of Art pour un concours intitulé Art in Therapy (l’art en thérapie). Ils cherchaient des idées d’activités en métiers d’art que les soldats pourraient effectuer à l’hôpital et elle a proposé le hookage à cette fin. Mrs. McLeod a donc contacté Madge Smith, propriétaire d’une boutique de métiers d’art à Fredericton, pour lui demander si elle pouvait lui envoyer le patron d’un petit cheval qu’elle avait conçu et le tapis, si Mme White, celle qui l’avait hooké, était d’accord. Aux États-Unis, des femmes artistes comme Louise Bourgeois (1911-2010), qui aurait une influence très importante au Canada, ont aussi participé à l’effort d’ergothérapie à l’époque.

Le hookage continue d’être une forme de réadaptation par les loisirs ; les mains et l’esprit restent occupés, tandis qu’on peut exprimer sa créativité, ce que bien des hommes ont trouvé utile. Raymond Scott, du couple de hookeurs connus sous le nom de Gagetown Hookers, a commencé à hooker à la suggestion de son épouse.

L’artisanat n’est pas seulement un « travail de femme », ce qui est précieux en soi, mais il a aussi une valeur thérapeutique. Des participants au programme du centre REACH (acronyme anglais pour ressources, éducation, activités, connexion et aide) à Fredericton ont remarqué que le hookage allégeait leur anxiété, les aidait à établir des liens avec d’autres lors des rencontres de hookage et leur permettait d’exprimer leur créativité et leurs émotions. Une hookeuse mentionne en ce sens qu’elle choisit le sujet de ses tapis selon la personne à qui elle offrira le tapis.

Et, comme l’affirme l’antiquaire d’Ipswich au Massachusetts Ralph W. Burnham dans le livre de Jessie Turbayne [1991 : 98-99] : « les médecines ne se trouvent pas toutes en bouteille. »

Les Gagetown Hookers

Raymond Scott (1905-1991) et Lydia E. Clarke Scott (1908-1996) sont des hookeurs bien connus de Gagetown. Après s’être mariés en 1931, ils ont acheté la ferme du père de Lydia à Summer Hill. Ils y ont élevé des cochons et des vaches laitières. En 1952, le gouvernement du Canada les a expropriés de leur terre pour établir la Base des Forces canadiennes Gagetown, une immense installation d’instruction pour l’Armée. Ce départ forcé de leur demeure et de leur ferme les a grandement affectés, et l’année après leur déménagement, Raymond a beaucoup souffert de ce grand changement. Lydia lui a alors suggéré le hookage comme thérapie, et il a suivi ses conseils. Si bien qu’il n’a jamais arrêté de hooker.

Lydia avait l’œil artistique, elle a donc commencé à faire des patrons que Raymond hookait ensuite. Il avait appris la technique de sa mère Effie Rae Nickerson Scott (1881-1956) qui hookait par nécessité ; elle échangeait ses tapis pour de nouveaux couvre-planchers. Raymond hookait plus vite que Lydia, qui avait même fait des patrons pour sa belle-mère. C’est ainsi que cette paire de hookeurs célèbres a été créée. Lydia dessinait les motifs et choisissait les couleurs, tandis que Raymond, daltonien, hookait les tapis.

Une fois que Raymond a pris sa retraite comme conducteur d’équipement lourd à la Base des Forces canadiennes Gagetown, son passe-temps est devenu une entreprise à plein temps. Lui et Lydia ont commencé à vendre leurs tapis dans une boutique, la Little Red School House à White’s Cove.

Le couple était déjà populaire quand les antiquaires et encanteurs du Maine Larry et Jean Dubord ont rencontré les Scott lors d’une chasse aux tapis au Nouveau-Brunswick. Les Dubord ont été surpris en entrant dans la demeure de Lydia et Raymond ; elle était remplie de tapis. Avant de partir, ils avaient acheté tous les tapis et étaient sur le point de créer un superbe partenariat. Au cours des six prochaines années, les Scott ont hooké 600 tapis ; environ deux par semaine. Les scènes de ferme avec des cochons — plus précisément des cochons qui s’embrassent — et des vaches laitières comptaient parmi leurs motifs les plus populaires. Les Scott vendaient leurs tapis exclusivement à Larry Dubord qui les emportait aux États-Unis pour les revendre. À mesure que les profits de la vente des tapis montaient, Lydia et Raymond obtenaient une part plus importante des ventes. Selon leur entente, ils avaient aussi le droit de hooker pour leurs proches. La plupart des tapis des Gagetown Hookers sont cependant sortis de la région et du pays, comme bien des tapis du Canada atlantique.

L’un des aspects les plus intéressants du duo Lydia et Raymond Scott est que les tapis ne pouvaient être faits qu’avec la participation des deux. Pourtant, ce n’est qu’après plusieurs années de collaboration avec les Dubord que ce fait a finalement été reconnu. Dans les duos, c’est typiquement le designer qui est reconnu tandis que le hookeur ou la hookeuse reste anonyme. Dans ce cas-ci, au départ, les tapis n’étaient commercialisés qu’avec la signature de Raymond. Heureusement, cette omission a finalement été rectifiée et la signature de Lydia a aussi commencé à paraître sur les tapis.

L’entreprise des Gagetown Hookers illustre l’importance égale de la personne qui hooke et de la personne qui conçoit le patron. Le design, le choix des couleurs et des tissus et les aptitudes à hooker font tous partie intégrante de la création d’un tapis.

Albénie Arsenault (1903-1983)

Albénie Arsenault, surnommé Daidais, a appris à hooker de sa mère. Bien que ses deux parents (Émilienne Cormier et François Arsenault) hookaient, c’est le seul de la famille qui a choisi de poursuivre ce métier d’art. Il a commencé à hooker après sa retraite du CN, Canadian National Railway, et après avoir travaillé comme cuisinier dans les camps de bûchage de Saint-Paul au N.-B. et aux États-Unis. Avant de hooker, il dessinait sur de vieilles boîtes de carton et faisait des collages à l’aide de coupures de journaux ; des designs qu’il a repris dans au moins 100 tapis. Il hookait comme passe-temps, pour garder ses mains et son esprit occupés les jours de pluie, mais les nombreux créateurs de sa famille l’inspiraient aussi à hooker. Dans ses petits-enfants, l’aînée, Pierrette, est la seule qui a eu l’occasion d’apprendre à hooker à ses côtés dans la quiétude de son salon.

La famille de Daidais possédait La Mitaine, une galerie sur la rue Main à Moncton qui vendait ses tapis, les poupées de tissu de sa fille Monique et d’autres œuvres très créatives de différents artistes. Daidais était entouré d’artistes et il a influencé bien des hookeuses. Son fils Guy Arsenault était un poète et peintre acadien bien connu et sa petite-fille Maryse Arsenault est une artiste et commissaire accomplie. Son épouse, Laura Bourque Arsenault (1914-2009), était aussi chef de file du monde littéraire acadien et autrice et poète publiée. Le tapis Ben et Mam est en fait un hommage à son épouse. En 1981, il a exposé ses taips à la Galerie Sans Sous, avant la création du Centre Aberdeen. Puis, en 2010, le musée de la Maison Pascal-Poirier à Shediac, en collaboration avec sa fille Annette, a rempli la maison historique du sénateur de tapis colorés, exubérants et joyeux de Daidais. D’innombrables hookeuses, résidents et touristes ont eu l’occasion de voir son œuvre à cette occasion. Comme plusieurs aujourd’hui et dans le passé, Daidais hookait avec des tissus recyclés : couvertes et tissus, molleton, polyester, flanelle, coton, denim et bas de nylon pouvaient tous se retrouver dans ses tapis. Sa technique charmante et intentionnellement irrégulière, avec ses boucles élevées et son imagerie expressive, explique en partie sa popularité.

Clifford Sentell (1900-1990)

Clifford Sentell est né en 1900 à Salisbury. Il était charpentier, gérait un « snack bar » et cuisinait. Il a été organiste pour l’église United de Salisbury pendant plus de 25 ans et maître de poste pour la Loge maçonnique qui s’y trouvait. À 76 ans, Sentell a commencé à hooker en se servant de patrons dessinés par ses proches. Il utilisait de vieux vêtements donnés par ses amis et, lorsqu’il les avait hookés, il pouvait identifier de qui et d’où venaient ses tissus. Il teignait souvent ses tissus lui-même et coupait ses lisières à la main. Sentell était un hookeur prolifique ; sa maison était remplie de tapis, certains mesurant 2,5 m. de longueur (7,5 pi.).

[In an aside in Gender section:] Mary et Clinton Mason, un couple marié, partagent aussi leur amour du tapis.

Clinton avait montré un patron à sa femme dans une boutique, mais elle ne l’aimait pas. Il a quand même décidé de l’acheter, il s’est trouvé de la laine et il a hooké le patron. Il a continué de hooker ce qui l’intéressait comme des animaux de ferme, des chevreuils et leurs deux fermes familiales.