
Georgina Grant hookant sur son cadre fait de 4 morceaux de bois attachés par des étaux en C.
Le hookage
La technique du hookage est simple, mais il faut plusieurs étapes avant d’achever un tapis hooké. Des cadres aux crochets, du matériel au design, ce processus gratifiant n’est pas sans rappeler le rituel et les étapes pour se faire un café ou, en termes textiles, ceux de la courtepointe. On doit transformer les matériaux bruts pour que le hookeur ou la hookeuse puisse s’en servir, façonner, perfectionner et adapter les outils et tenir compte des éléments du design en concevant le tapis. Nul besoin d’outils ou de matériaux coûteux, ni d’un diplôme ; l’artiste s’adaptera à ce qui est à sa disposition ou adaptera ce qu’elle trouve pour satisfaire à ses besoins.
Historiquement, les outils et les patrons étaient faits maison, puis, on a commencé à en offrir sur le marché et ils sont devenus très accessibles. Pourtant, les artisans d’aujourd’hui continuent de façonner des outils à la main, des crochets aux cadres à hooker. De plus, on trouve partout de petits teinturiers qui offrent différents genres de matériaux à hooker à la communauté bien vivante du hookage.
Les designs
Comme c’est le cas dans toutes les formes d’art, la première étape est de trouver un design — un patron à hooker. Parfois, la hookeuse concevait son propre patron ou le faisait dessiner par quelqu’un d’autre. Bien des tapis superbes et originaux ont résulté de ce processus. Les gens dessinaient ce qu’ils connaissaient, ils s’inspiraient de leur environnement, des rares revues ou catalogues de semences qu’ils recevaient ou d’images trouvées.
Ils prenaient parfois des images de livres ou les dessinaient à main levée. Les designs maison offraient un aperçu du monde de la personne qui les hookait, de ce qui lui tenait à cœur et de son environnement.
D’autres hookeuses demandaient à des proches de les aider avec leurs designs. Dans certains cas, d’autres gens de la communauté commençaient à demander des patrons à ces dessinateurs. Dans d’autres cas, cela a mené à des occasions d’affaires encore plus importantes.
Lorsque les tapis et les moquettes du Moyen-Orient et de l’Asie ont commencé à décorer les demeures des plus riches, les femmes qui en avaient les moyens pouvaient en acheter, mais d’autres copiaient les motifs et les hookaient chez elles. Des designers de patrons et d’autres gens d’affaires ont suivi la tendance pour offrir des patrons de tapis qu’ils appelaient « turcs », « persans » ou « orientaux ».
Un design néo-brunswickois en particulier se démarque par sa complexité, mais surtout pour son rôle dans l’histoire : le tapis hooké d’Abigail et Susannah Smith. La clé du mystère du tapis Smith hooké en 1860 au Nouveau-Brunswick se trouve dans un échantillon de broderie. Il semblerait que l’échantillon de broderie ait inspiré le tapis hooké. En effet, le tapis était une version hookée de l’échantillon et contenait les mêmes éléments typiques des échantillons : de l’écriture, des animaux, une maison, une bordure détaillée, etc.
Les premiers patrons de tapis sur le marché étaient probablement faits à Lowell au Massachusetts dans les années 1850 par Chambers and Leland, qui se servaient de planches de bois enchâssées de cuivre pour estamper les designs sur le jute à l’aide d’une solution de teinture.
Les premiers tapis offerts à grande échelle au Nouveau-Brunswick étaient probablement ceux que faisait un colporteur d’étain du Maine, Edward Sands Frost. Son épouse travaillait depuis quelque peu sur un patron qu’il trouvait…ennuyant. Il s’est donc mis à penser qu’il pourrait faire quelque chose de plus intéressant. Sa solution était si populaire qu’il recevrait bientôt des commandes pour d’autres patrons. En raison de son travail, il avait accès à de l’étain, il a donc pu utiliser ses connaissances pour découper des pochoirs en étain dont il se servait pour peindre les patrons sur du jute. De 1870 à l’année de sa retraite en 1876, il a découpé environ 750 pochoirs et imprimé les patrons en couleur — les couleurs pâles d’abord, suivies des foncées. Les patrons les plus connus de Frost sont des fleurs, des motifs de type « turc » et des animaux : des chiens, des cerfs, des chevaux, des chats et un oiseau sur son nid entouré de fleurs. La plupart de ses patrons sont entourés de bordures nettes composées de feuillage, de cordes ou de volutes. Le lion est un de ses motifs les plus populaires. Frost a vendu son entreprise à James A. Strout, maire de Biddeford au Maine, qui a continué d’exploiter l’entreprise sous le nom d’E. S. Frost and Company jusqu’à 1900. Les patrons n’étaient pas protégés par des droits d’auteurs, alors d’autres entreprises les ont reproduits ou copiés pour les vendre sous leur nom d’entreprise. Les patrons de Frost sont encore sur le marché aujourd’hui ; ils ont attisé la flamme du hookage alors qu’elle aurait pu s’éteindre.
En 1879, les patrons Garrett’s ont commencé à se vendre sur le marché. Par une série de transactions commerciales, John Garrett, fils d’un rembourreur de New Glasgow en Nouvelle-Écosse et dessinateur talentueux, a commencé à créer des motifs pour la boutique voisine de M. Ferguson ; Ferguson a fini par amasser une grande collection de patrons. Insatisfait de la distribution et de la vente de ses designs, John Garrett Garrett a décidé de vendre ses propres patrons. Après quelques années à travailler de la maison, il a bâti une entreprise florissante, la John E. Garrett Rug Craft, avec sa série de goélettes
Bluenose protégée par le droit d’auteur. Il fondera plus tard une entreprise limitée avec ses trois fils, où ils hookeroent et vendront aussi des tapis. Après un certain temps, ils ont commencé à hooker avec la laine qu’ils filaient et teignaient dans le moulin qu’ils avaient acquis pour s’assurer de ne jamais manquer de laine. Dix-huit femmes peignaient les patrons en couleurs sur du jute pour inspirer les hookeuses, avec un mélange qu’elles faisaient elles-mêmes à partir de teintures Diamond. Au fil des ans, les propriétaires de Garretts ont produit 400 patrons de tapis et ils avaient sur leur liste d’envoi les noms de 20 000 femmes. En 1975, alors que le hookage connaissait une baisse en popularité et qu’un incendie avait ravagé leur magasin, Garretts a fermé boutique.
Rebondissement dans l’histoire : en 1998, Doreen Wright a acheté presque toute la collection de pochoirs pleine grandeur en papier perforé pour les Bluenose Hooked Rug Patterns, les perforatrices et quelque 300 pièces de jute estampées et colorées pour s’assurer que la tradition de sa mère et de sa grand-mère survive.
Au Canada encore, l’entreprise Wells et Richardson de Montréal a publié un livre de hookage, le Diamond Dye Rug Book, un catalogue de patrons de 1899, en collaboration avec l’entreprise de teinture Diamond Dye Company. Ils encourageaient ainsi les femmes à garder leurs guenilles plutôt que de les vendre au chiffonnier ou guenillou, un marchand ambulant qui ramassait des guenilles pour la production de pâte à papier et des os à moudre pour faire de la poudre d’os ou à bouillir pour faire de la colle. De cette façon, les femmes pouvaient hooker plus de tapis et acheter plus de patrons, mais aussi plus de teinture.
De l’autre côté de la frontière, en 1905, Ralph W. Burnham, collectionneur et vendeur, designer et réparateur de tapis d’Ipswich au Massachusetts, annonçait un inventaire de plus de 3000 tapis hookés. On le surnommait bien à propos, le « magnat du tapis hooké ».
En 1905, Eaton, le célèbre magasin à rayons, offrait des patrons de tapis hookés imprimés sur jute dans son catalogue. Sa distribution était si grande qu’il joignait même les collectivités les plus éloignées. Au début des années 1900, Hambly & Wilson de Toronto produisait aussi des patrons sur jute.
Pendant la seconde moitié du xixe siècle, les murs ont commencé à inspirer les hookeuses et hookeurs. Quand le papier peint a gagné en popularité, les artistes du hookage se sont mis à s’inspirer des motifs détaillés des recouvrements muraux offerts et à les appliquer à la discipline du tapis. Le mouvement Arts and Crafts, qui avait vu le jour en Grande-Bretagne pour s’étendre jusqu’en Amérique du Nord, bien connu grâce aux designs de William Morris, était une richissime source d’éléments de design faciles à transposer en tapis hooké. La réaction de rejet du mouvement face à l’industrie et à la perte de savoir-faire traditionnel a motivé des designers, des architectes et d’excellents artisans à créer des œuvres inspirées de la nature, remplies de fruits, d’animaux, d’arbres et de fleurs sur un support naturel. Les motifs de William Morris continuent d’inspirer les hookeuses et hookeurs d’aujourd’hui à créer pour décorer leurs planchers, chaises, repose-pieds et murs à partir de ses motifs, en rendant hommage à leurs traditions ou en adaptant des éléments des motifs pour représenter leur monde et leurs couleurs.
Les femmes créaient aussi leurs propres motifs en se servant de parties de design : des volutes, des fleurs, des feuilles — et les réorganisaient pour faire un design à leur goût. Elles partageaient aussi les patrons qu’elles recopiaient sur du papier épais, puis sur leur jute.
Plus récemment, des designers canadiens et américains ont recommencé à produire des patrons pour le hookage.
Pearl McGown de Kennebunk, au Maine, à l’origine d’une formation menant à une certification pour enseignants de hookage, le McGown Teachers Workshop, était une force de la nature. Sa précision technique et ses fleurs détaillées hookées avec du tissu en dégradé étaient sans pareil. Joan Moshimer, Une ancienne élève de McGown, est aussi devenue une hookeuse influente des deux côtés de la frontière et a produit un catalogue de ses propres patrons.
Margaret et Ted Rowan, fondateurs de l’atelier Rittermere Craft Studio, sont un couple qui vit à Vineland en Ontario. Beaucoup d’Ontariens ont commencé à hooker grâce à leur appui et leur encouragement. Ils ont été le moteur derrière la guilde de hookage de l’Ontario, l’Ontario Hooking Craft Guild, et ils ont aidé à établir son volet des enseignants. Leurs catalogues comprennent des patrons de David Rankine, d’Ann Hallett, de George Culley ainsi que de leurs propres designs.
Au Canada, de nombreux artistes du hookage créent, impriment et vendent toujours des patrons de tapis hooké. Dans sa boutique de la rue Victoria et sa boutique virtuelle, Deanne Fitzpatrick d’Amherst en Nouvelle-Écosse produit et vend des designs très populaires, de superbes scènes atlantiques, des orignaux roses et des abstractions, tout y passe.
Des patrons genrés
Pendant les années 1920 et 1930, certains patrons de tapis pour enfants étaient destinés soit à des garçons soit à des filles. La fillette au bonnet « Sunbonnet Sue », les papillons, les chatons et les roses étaient vus comme des patrons pour filles, tandis qu’on associait les canards en plein vol, les navires et les chevreuils aux garçons. Parfois, les images se référaient à des contes pour enfants comme Le petit chaperon rouge ou Les trois ours ; ceux-ci étaient acceptables pour les deux genres.
La grande influence des petits designers
Au début du xxe siècle, l’enseignante, artiste de guerre et activiste Pegi Nicol MacLeod (1904-1949) a commencé à concevoir des motifs de tapis à vendre dans la boutique de Madge Smith à Fredericton. De son pied-à-terre à New York, où elle vivait avec son mari et sa fille, elle envoyait à Maggie, comme elle la surnommait, des patrons qu’elle ferait hooker par d’autres femmes néo-brunswickoises, comme Mme White. Elle représentait souvent des têtes de violon, un des emblèmes du Nouveau-Brunswick selon elle.
Grace Helen Mowat, grâce à son industrie artisanale, Cottage Craft, était connue partout dans le comté de Charlotte et dans la province. Mais elle avait commencé comme designer à petite échelle. Ses motifs ont posé les jalons pour tous les spécialistes du hookage qui travaillaient pour elle, qui ont commencé eux-mêmes à concevoir leurs propres patrons avec son appui.
Actuellement, en raison de l’intérêt accru pour le hookage, les ressources dans ce domaine deviennent encore plus accessibles partout dans le monde. Dans les Maritimes, bien des boutiques d’artisans conçoivent et produisent leurs propres designs.
Les catégories de designs et le rôle des designers
Certains diront que les patrons limitent la créativité, mais ce sont justement les designers qui ont gardé l’art du hookage vivant pendant son déclin. Grâce aux patrons d’Eaton et de Frost, et par les bulletins de nouvelles de Pearl McGown qui avivait une communauté de hookage pour les femmes qui s’ennuyaient de leurs hommes pendant la guerre, cet art a survécu aux pénuries de la Seconde Guerre mondiale.
Les patrons de hookage s’inscrivent généralement dans les huit catégories de tapis suivantes : primitif, floral, pictural, vitrail, abstrait, paysage, moyen-oriental et asiatique et géométrique, avec toutes les variations possibles.
Dans les tapis primitifs, on voit souvent des couleurs unies sans ombrage. Les motifs, habituellement dessinés à la main, peuvent représenter n’importe quoi — des fleurs aux animaux, aux formes géométriques. L’aspect primitif se situe dans la technique. Les lisières sont souvent larges, les fils, gros, et les détails, limités. C’est par la couleur et les tons que les tapis brillent.
Les motifs floraux s’expliquent d’eux-mêmes, mais ils peuvent être rendus et disposés d’innombrables façons. Bien des tapis floraux mettent en vedette un arrangement floral au centre avec des volutes ou une autre sorte de bordure. Ils peuvent être hookés avec beaucoup de dégradés ou pas du tout. Les hookeuses s’amusent souvent à mélanger des fleurs, les répéter, les intercaler avec des motifs géométriques. Les tapis floraux sont faciles à adapter à toutes sortes de formes et de tailles, avec des arrière-plans ovales, des feuilles ou tout autre motif qui peut intéresser l’artiste. Ces designs sont très populaires et les designers proposent une vaste gamme de patrons floraux. En répétant un motif de fleur ou de feuille, on peut créer un patron ou une bordure dont l’effet sera visuellement harmonieux.
Le tapis pictural est simplement un tapis qui représente quelque chose qu’on reconnaît par opposition à un tapis abstrait. Les tapis picturaux, comme les tapis floraux, peuvent être primitifs ou contenir beaucoup de jeux d’ombre et de lumière. Ils peuvent représenter des gens, des édifices, des paysages, etc. Ils peuvent aussi recréer une image ou raconter une histoire.
Les motifs de vitraux, par contre, sont très précis. Semblable au vrai vitrail, le tapis du même nom présente des pans de couleurs définis par des contours noirs frappants, ce qui donne l’impression d’un vitrail.
D’un autre côté, les tapis abstraits sont une manière facile de se servir de lisières ou de laines restantes. On peut suivre l’idée du tapis aléatoire (hit and miss en anglais) que tant de hookeuses ont exploré dans le passé. Cette idée consiste à simplement faire une pile de restes de laine dans un agencement satisfaisant de couleurs et à choisir des lisières ou des bouts de laine au hasard, sans les regarder. Cette technique servait souvent pour les tapis mis au sol, des tapis que le hookeur ou la hookeuse ne protégerait pas comme article précieux, bien que les tapis aléatoires peuvent être très attrayants et sont prisés par les collectionneurs. Le tapis abstrait, comme la peinture du même genre, peut aussi comprendre des éléments de design non figuratifs. L’artiste laissera son esprit créer un motif plaisant et le dessinera soit directement sur le support, soit sur du papier pour ensuite le transférer sur le support. Les Hookeuses du Bor’de’lo, dans leur exposition Symphonie en H, ont créé leurs tapis abstraits de 40 po x 40 po d’après des peintures inspirées par de la musique lors d’un atelier.
Les tapis de paysages viennent dans tous les genres. Les paysages naturels et les paysages de ville ont été très populaires au fil des ans et ils aident à documenter l’histoire de la province, de la famille ou de la région représentée. Bien des tapis représentent une petite ville, une industrie ou une propriété familiale disparues ou un paysage naturel maintenant couvert de constructions humaines.
Les tapis aux motifs moyen-orientaux et asiatiques étaient très populaires chez les premiers designers de patrons. Frost, notamment, a profité de la mode pour créer des designs de tapis que la plupart des hookeuses ne pouvaient pas se payer ; les tapis originaux provenant du Moyen-Orient et de l’Asie étaient bien trop chers pour elles, mais les patrons ne l’étaient pas. Elles avaient le savoir-faire pour les rendre à leur goût.
Finalement, les designs géométriques ont toujours été une catégorie populaire et ils continuent de l’être. Avec un design géométrique, l’artiste peut utiliser des restes, créer un design qui met en valeur les couleurs qu’il ou elle a sans avoir à se soucier de la perspective ou de l’ombrage. Certains hommes favorisaient les patrons géométriques dans leur hookage étant donné que les patrons commerciaux n’étaient pas nécessairement à leur goût. Les patrons géométriques sont parfois aussi inspirés des designs de courtepointes. Le « Boston Sidewalk » ou « Inch Mat » (trottoir bostonien ou tapis au pouce : des tapis composés de carrés d’un pouce) est toujours populaire au Nouveau-Brunswick. Le Registre des tapis hookés a notamment choisi un de ces designs comme image emblématique pour son marketing.
Les patrons de tapis peuvent être conçus par la personne qui le hooke, un ami ou un designer commercial. Ces tapis sont cependant parfois influencés par un conservateur, un influenceur ou un membre de la famille. Dans une demeure où l’artisan crée une pièce liée à son quotidien, les membres de la famille donnent souvent leur point de vue. Ils participent d’ailleurs déjà à la création du tapis en décousant des vêtements, en coupant des lisières, en les teignant ou même en hookant le tapis. Celui-ci devient alors une affaire de famille.
Des influenceuses comme Grace Helen Mowat et Marie-Louise Allard Blanchard guidaient leurs designers dans la création de leurs tapis, tout comme le faisait Mlle Luther par sa palette de couleurs subtile et les designs aux intérêts locaux dans son travail pour la mission Grenfell de Terre-Neuve-et-Labrador. Yvonne Dupuis et Francis Coutellier travaillaient parfois ensemble pour choisir des couleurs et des tissus pour les tapis conçus par Coutellier. Et on invitait des artistes comme Lilian Burke à Chéticamp pour aider les hookeuses talentueuses à choisir des couleurs qui seraient plus attrayantes pour les touristes ou les acheteurs aux États-Unis.
Larry Dubord, antiquaire et importateur des tapis des Gagetown Hookers, travaillait avec Raymond et Lydia Scott pour choisir les tissus qui composeraient leurs tapis. Les tâches du hookage et de la conception du tapis dans tous leurs aspects impliquent souvent plus d’une perspective.
Le choix d’un patron
Commençons par le commencement : on doit d’abord choisir le design d’un tapis avant d’entamer le travail, sauf si on conçoit son design à mesure.
Les motifs peuvent être choisis ou modifiés selon la direction choisie ou requise.
Les tapis d’âtre, par exemple, étaient souvent des demi-cercles avec un design qui ne devait être vu que d’un côté, soit de la position face au foyer. D’autres étaient faits pour être vus de tous les côtés, et les images picturales étaient souvent destinées à n’être vues que d’un sens, quoique certaines bordures bien créatives brisaient cette règle.
Le design doit être attrayant aux yeux de l’artiste, afin de garder son attention. Le hookage est effectivement un art méditatif et lent, le processus devrait donc être agréable. Il est essentiel de choisir un beau patron et des tissus et couleurs agréables, et de s’assurer d’être confortablement installé. Comme le disait Frost « travailler sur un tapis ennuyant est une tâche ardue. »
Les techniques de transfert
La création de patrons a évolué au fil du temps et les techniques utilisées pour le transférer sur un support sont bien inspirantes. Les patrons dessinés à la maison étaient souvent faits sur du jute avec des bâtons trempés dans de l’encre, de l’agent azurant (mélange de bleu utilisé pour neutraliser le jaune sur un tissu et le faire paraître plus blanc) ou du charbon du poêle à bois. Aujourd’hui, les outils servant à dessiner le design sur le support varient : des crayons de bois mous au marqueur permanent. Ces outils sont utiles pour les dessins à main levée ou pour tracer des pochoirs.
Quand il s’agit de transférer un patron à partir d’un dessin ou d’un motif, au fil des ans, plusieurs techniques ont vu le jour. Certains tracent le dessin à l’échelle sur du papier de la taille du tapis, d’autres percent des trous à l’aiguille sur le contour, puis tracent le contour pour faire passer l’encre par les trous et transférer le design sur le support. D’autres encore préfèrent prendre le dessin à l’échelle, l’installer derrière le support et fixer les deux à une fenêtre, puis tracer les lignes visibles grâce à la lumière derrière la fenêtre. Enfin, certaines personnes ont utilisé du papier carbone pour marquer le design sur le support ou même des crayons de cire repassés sur le design pour transférer la cire sur le jute, tout en s’assurant de repasser l’excédent de cire sur un papier journal. Peu importe la technique, l’objectif est un contour clair.
On peut encore trouver de vieux tampons chez des antiquaires, notamment des tampons qui auraient servi à imprimer des images sur du tissu. Les pochoirs sont aussi une façon de transférer un design sur le support.
Les outils
Les crochets
Le hookeur ou la hookeuse a besoin de très peu d’outils, mais ils sont essentiels pour créer ses tapis. D’abord, le crochet. Des récits d’antan expliquent que les crochets sont dérivés des crochets qu’utilisaient les matelots pour travailler le cordage ; un outil du genre épissoir qui consistait en un clou planté dans une poignée — une vieille poignée d’outil, un os travaillé ou, plus souvent, du bois. On en affilait le bout pour le rendre légèrement pointu et on entaillait une encoche vers le bout pour pouvoir attraper le tissu et le tirer pour en faire une boucle. Ce crochet a été l’outil principal pour la plupart des hookeuses pendant des décennies. Ces outils étaient souvent façonnés par l’homme de la maison ou le forgeron du coin ; une autre contribution des hommes à l’histoire du hookage.
En 1886, Ebenezer Ross de Toledo en Ohio a inventé une aiguille à poinçon pour rendre le hookage plus rapide. Semblable à un mélangeur manuel avec un crochet au bout, l’outil était utilisé à l’arrière du tapis pour poinçonner le tissu de laine à travers le jute. Le crochet Bluenose de Garrett était aussi une aiguille à poinçon automatique offerte dans le catalogue. Les deux inventeurs ont augmenté leurs ventes de patrons grâce au poinçon et vice versa.
Le hookage au poinçon est semblable à la technique du hookage et donne le même genre de tapis une fois fini. Aujourd’hui, le poinçon Oxford est le plus populaire auprès des hookeuses et hookeurs. Offert avec une aiguille longue ou courte pour des boucles élevées ou basses, il est aussi offert dans différents diamètres pour accueillir diverses tailles de fils ou de lisières. Il aide le créateur à faire des tapis d’une épaisseur bien égale. La clé du succès pour le tapis au poinçon ? Faire une copie inversée du design avant de le transférer sur ce qui sera le dos du tapis. Lorsque Doreen Wright parcourait les patrons qu’elle avait achetés de Garrett, elle et ses acheteurs se sont rendu compte que certains patrons traditionnels avaient été inversés. Cela s’explique par le fait que certains patrons étaient faits pour le poinçon et d’autres, pour le hookage.
Aujourd’hui, les hookeurs et hookeuses du Nouveau-Brunswick ont accès à de superbes crochets façonnés par des tourneurs de bois locaux, surtout des hommes, souvent guidés par leur épouse pour faire un crochet confortable et utile. Les créateurs de tapis peuvent choisir des poignées courtes ou de la longueur d’un crayon, des bouts de crochet droit ou à angle, des poignées grosses ou minces, de bois locaux ou exotiques ou même faites de résine. Les hookeuses sont aussi très ingénieuses et elles savent ce qu’elles aiment. Certaines choisiront un crochet de crochetage et lui feront une poignée confortable en pâte polymère, d’autres enroberont même une poignée existante de ruban adhésif en toile pour satisfaire à leurs besoins. On peut encore trouver des crochets anciens dans des marchés aux puces, mais ils se font de plus en plus rares.
Les cadres
Deuxièmement, la hookeuse a besoin d’un cadre auquel attacher sa base préparée. Les premiers cadres ressemblaient aux cadres de courtepointe : quatre étaux en C, traditionnellement faits par le forgeron local, tenaient quatre planches pour former un rectangle ou un carré. La hookeuse penchait ensuite ce cadre sur une table ou deux chaises et accotait un des côtés sur ses cuisses pour commencer à hooker. Si le cadre était trop grand, elle l’installait comme un cadre de courtepointe sur quatre chaises.
Au fil des décennies, on a commencé à offrir différents modèles de cadres. Le cadre de type Chéticamp est un modèle sur pied qu’on met au sol. Deux paires de pattes tiennent deux rouleaux qu’on peut ajuster pour tendre la toile qui sert de base. Si le tapis est plus long que le cadre, l’artiste commence à hooker à partir du bas, enroule la toile sur les rouleaux à mesure, puis continue de hooker le tapis une section à la fois. Ce genre de cadre est toujours très populaire et est offert un peu partout.
Les cadres sur pied peuvent aussi être fixés à un socle monté comme un cadre à broder. Cette configuration fonctionne avec de solides cadres à broder ronds ou ovales, ainsi qu’avec un cadre de hookage rectangulaire. On peut s’en servir en insérant des punaises pour retenir la toile, des pics à tapis ou des peignes à dents du genre brosse à chien. Certains modèles de cadres sont même dotés d’un mécanisme de serrage qui facilite beaucoup la tâche quand on vient à installer le tapis sur le cadre et à l’en retirer. Les artisans se servent encore souvent de petits cadres pour faire de grands tapis. Plutôt que de rouler le tapis le long de rouleaux comme avec le cadre de Chéticamp, le tapis peut être déplacé en l’installant sur les peignes. On le retire et le repositionne pour travailler une nouvelle section. Certains modèles de cadres ont même une tête pivotante qui peut ajuster l’angle du cadre afin que l’artiste soit plus confortable. Certains cadres sont juchés sur un genre de selle de bois que l’artisan enfourche pendant le hookage pour maintenir le cadre en place et à la bonne hauteur. Finalement, il existe des cadres de voyage. Ils sont généralement faits de matière légère et sont compacts et démontables ou pliables pour se porter facilement en voyage ou vers un frolic.
Le modèle du cadre est sans importance, il faut surtout être confortable. Pour hooker, il suffit de quatre morceaux de bois attachés ensemble qu’on tient sur les cuisses ou même une toile lâche. Peu importe le cadre choisi, on doit tenir compte de l’ergonomie, et l’artiste choisira un cadre adapté à ses besoins.
Les outils de coupe
Dans le hookage à ses débuts, la plupart des femmes se servaient de ciseaux pour couper leurs tissus en lisières de la bonne largeur. Au fil du temps, des inventions ont rendu la coupe plus facile et plus rapide. Harry Fraser de l’entreprise M. Harry Fraser Company au Connecticut, fondée en 1947, avait beaucoup d’expérience avec la petite machinerie et a relevé le défi qu’un ami lui avait posé ; il a décidé de faire une machine à couper pour le hookage. De petites têtes faites pour couper plusieurs lisières de tissu à la fois sont actionnées par une manivelle, un peu comme une machine à pâtes le fait pour des fettucine. La Fraser Company offre maintenant plus d’un modèle, et d’autres entreprises comme Bee Line Townsend de l’Iowa vendent aussi des coupeuses de tissu. La machine Bolivar Fabric Cutter conçue (1993) et manufacturée en Nouvelle-Écosse par Bruce Bolivar (décédé en 2021) est très prisée.
On peut aussi remplacer les ciseaux par une coupeuse rotative. Créé initialement pour la courtepointe, c’est un outil plus petit qu’on tient dans la main et qui est armé d’une lame circulaire. Pour couper, il suffit de faire rouler la lame sur le tissu, souvent le long d’une règle sur un tapis de coupe autocicatrisant.
Peu importe l’outil de coupe, l’artiste du hookage doit choisir une largeur de coupe qui s’agence avec le support, l’épaisseur du tissu utilisé, le motif et les effets souhaités. On utilise souvent des coupes plus étroites ou des fils pour faire des ombrages détaillés, et des coupes plus larges ou des fils plus gros pour faire de la texture.
Des outils et des forgerons
Il était habituel pour les hommes, les femmes et les enfants de faire de l’ouvrage de métier d’art pendant les longues soirées d’hiver. C’étaient souvent les hommes qui fabriquaient les outils nécessaires au hookage. Ils façonnaient des crochets en pliant et en martelant un clou, ou en découpant une coche près du bout, qu’ils inséraient dans un manche fait à la main, souvent un morceau de bois travaillé. Ils pouvaient même transformer un vieux couteau en crochet.
Les premiers métiers à hooker étaient faits de quatre morceaux de bois attachés ensemble par des pinces ou serre-joints ; c’était essentiellement une petite version du cadre à courtepointe. On avait besoin de quatre « clamps », comme on les appelait, souvent faites par les forgerons locaux. Au fil du temps, plusieurs différents métiers ont été conçus pour être ajustables ou pour accueillir de plus gros tapis. C’étaient probablement les hommes qui assemblaient les cadres, une tâche associée aux rôles typiquement genrés masculins de l’époque ; les femmes s’occupaient de la maison et effectuaient du travail de ferme léger tandis que les hommes travaillaient dehors et construisaient ce dont la famille avait besoin.
Matériaux
Le support
Les premières hookeuses se servaient peut-être de canevas ou de toiles de lin filé ou tissé à la main. Toutefois, le tissage étant serré, il aurait été difficile de tirer des guenilles à travers les mailles. Le support le plus communément utilisé était la toile de jute. Le jute, d’abord produit en Inde, a été exporté massivement vers l’Occident à partir de la fin des années 1700. Lorsqu’on l’a introduit en Amérique du Nord et qu’il a commencé à être largement offert sur le marché, vers 1850, les hookeuses ont eu accès à ce support grâce aux sacs ou aux poches qui servaient à entreposer et à transporter la moulée ou même les patates. Ce genre de jute était toujours disponible, surtout pendant les deux Guerres mondiales et la Grande Dépression où les autres matériaux étaient rares ou très chers. En fait, la débrouillardise est revenue à la rescousse des hookeuses, et on peut établir un parallèle entre ces sacs de moulée pour le hookage, comme ceux dont se servait Gabrielle Savoie-Robichaud, et les sacs de coton imprimés pour farine et sucre qu’employaient les courtepointières. On raconte souvent des histoires de femmes et d’enfants qui défaisaient les coutures des sacs de jute pour se servir du côté non imprimé pour transférer le dessin d’un tapis. Cela explique pourquoi bien des tapis ont environ la même taille ; ce sont les dimensions d’un sac de moulée standard.
Le jute a aussi joué un rôle comme matériau de hookage, puisque les artistes du hookage canadiens détissaient les sacs de jute un brin à la fois, les teignaient, puis les hookaient dans un tapis.
Il était possible de se procurer du tissu de lin au Nouveau-Brunswick et au Canada, toutefois, ce support n’a gagné en popularité que plus tard, quand la bure, au tissage plus lâche, a commencé à être offerte sur le marché. Bien des hookeuses choisissent la toile de lin ou la bure de coton, soit pour leur durabilité, soit parce qu’elles ne produisent pas autant de poussière que le jute. Mais le jute n’a pas perdu son statut de cheval de trait. Bien des patrons commerciaux sont encore imprimés sur jute. Parmi les autres choix de supports, on compte ce qu’on appelle en anglais le « rug warp », un tissu de coton plus lourd et moins extensible que la bure souvent utilisé pour le hookage à l’aiguille à poinçon.
Les fibres
Au départ, les matériaux de hookage au Nouveau-Brunswick étaient surtout recyclés ou filés à la maison, un processus qui demande beaucoup de travail. Ceux qui en avaient tondaient leurs moutons, lavaient la laine brute et la cardaient avec des écardes ou des peignes pour une laine de type « worsted » (faite de longues fibres parallèles), puis la filaient sur leur rouet. Autrement, ils envoyaient la laine brute à des filatures de laine pour effectuer une ou plusieurs de ces étapes. Ils teignaient ensuite la laine avec des teintures naturelles préparées à la maison ou, après les années 1850, avec des teintures commerciales en poudre, comme les Diamond Dyes de Wells, Richardson & Co, offertes par catalogue à l’échelle du pays.
Les Acadiennes se servaient souvent de « défesures », des chandails de laine détricotés, puis coupés et recardés, auxquels on ajoutait parfois de la nouvelle laine pour faire de nouveaux fils. Cette technique était très commune et bien des aînés se souviennent de ce processus.
Mais une technique en particulier distingue les tapis canadiens : l’usage d’un mélange de vêtements et de couvertures recyclées dans un tapis. Jusqu’à récemment, personne ne jetait rien, y compris les vêtements. On gardait souvent les vêtements qui ne pouvaient plus être réparés, on les décousait, puis on les coupait en lisières prêtes à teindre et à hooker.
Les maisonnées plus riches pouvaient se permettre des laines préfilées ou des fibres prêtes à filer, et les teindre à leur goût à la maison. Bien des collectivités de la province avaient un moulin à laine qui les fournissait en fils de laine. Ces moulins ont tous fermé leurs portes, sauf Briggs & Little Woolen Mills Ltée à Harvey au Nouveau-Brunswick [Insert link Briggs Annex 1]. Dans la province voisine de l’Île-du-Prince-Édouard, davantage de filatures ont survécu et de nouvelles petites entreprises ont vu le jour au cours des dernières années. C’est aussi le cas au Nouveau-Brunswick, où Legacy Lane Fibre Mill de Sussex, une petite entreprise de traitement de la fibre, se spécialise dans les mélanges alpaga et mérinos.
Au Nouveau-Brunswick, on n’utilise pratiquement plus les défesures, mais on continue presque partout de garder les vieux vêtements et d’en acheter dans des friperies pour les transformer en tapis.
À l’autre bout du spectre, les artistes du hookage débutants et experts qui cherchent un projet facile peuvent se procurer des kits de hookage. Bien des designers de tapis offrent des patrons imprimés ou dessinés sur jute ou sur lin, accompagnés d’une image en couleur du produit fini et du lainage nécessaire déjà coupé. Certains kits comprennent même un petit crochet.
Selon l’usage prévu du tapis, les matériaux utilisés ont changé au fil des décennies. Si un artiste souhaite créer un tapis pour le sol, il doit choisir des matériaux durables, comme la laine, le coton et certaines fibres synthétiques. Cependant, si le tapis est destiné à un usage décoratif ou à être accroché au mur, l’artiste peut choisir de hooker à peu près n’importe quoi — soie de sari, rayonne, fil de métal, dentelle — les possibilités sont illimitées.
Les artistes modernes du hookage qui créent des pièces murales, exposent des tapis sculpturaux ou intègrent le hookage à des œuvres multi ou interdisciplinaires se servent aujourd’hui de matériaux inédits et originaux : grillage de métal, fibres synthétiques, fil de cuivre, peinture et même papier ou métal rouillé. En création artistique, tout est possible et le hookage est une discipline qui n’a pour limite que l’imagination du créateur.
Les teintures
Naturelles et synthétiques
Au Canada, comme ailleurs dans le monde, les teintures naturelles faites de terre, de plantes, de racines, d’écorces et d’insectes — pour faire un arc-en-ciel de couleurs — servent depuis des temps immémoriaux. Bien que les teintures naturelles ne soient pas toutes durables, au fil des siècles, on a découvert différents mordants pour assurer des couleurs stables. On a effectué beaucoup d’études et de tests sur des plantes et d’autres matières organiques pour assurer la pérennité de la couleur. Au cours des 20 dernières années, cependant, la plupart des teinturiers naturels utilisent seulement des mordants sans danger pour aider à fixer la couleur sur la fibre : l’alun et le fer, deux métaux qui se trouvent naturellement dans nos sols et notre eau, ainsi que certains mordants comme les tanins.
Les femmes ont transmis leurs recettes de teintures naturelles d’une génération à l’autre au Nouveau-Brunswick ; ainsi, on savait que l’enveloppe collante de la noix de noyer noir donne un brun noirâtre, que la verge d’or et les pelures d’oignon donnent différents jaunes et qu’on peut extraire du vert de plusieurs plantes si on les traite avec du fer. Certains champignons et lichens offrent aussi toute une gamme de couleurs, quoi que bien des teinturiers insistent sur l’importance de réfléchir à l’impact de la récolte du lichen sur son écosystème avant d’en ramasser. Les couleurs des tapis d’antan étaient limitées aux teintures qu’on trouvait dans les alentours, auxquelles on ajoutait de rares tissus achetés sous forme de vêtements usés. Inutile de dire qu’après les Première et Seconde Guerres mondiales, le tissu de laine vert olive des uniformes de l’armée et les teintes plus foncées des uniformes de la marine se sont retrouvés dans de nombreux tapis.
Quand les teintures synthétiques en poudre sont arrivées sur le marché, la plupart des maisonnées se sont tournées vers cette méthode plus rapide et qui demandait moins de travail ; on n’avait pas besoin d’extraire la teinture ou de la raffiner avant de commencer à teindre. Cependant, certains mordants qui servaient à fixer les teintures commerciales et certaines teintures naturelles ne satisferaient pas aux normes de santé et de sécurité actuelles, notamment le sulfate de cuivre, l’acide sulfurique et le chrome. Mais on pouvait commander les teintures synthétiques par la poste et elles étaient offertes dans plusieurs teintes que les teintures naturelles locales ne permettaient pas, ce qui explique leur popularité. L’indigo, dérivé des plantes, est resté sur le marché bien longtemps après l’arrivée des teintures synthétiques ou d’aniline sur le marché. Mais dans les années 1920, il s’est fait remplacer par une version synthétique. Aujourd’hui, bon nombre de teinturiers se servent de colorants acides ou naturels sécuritaires.
L’achat de teintures
À la fin du xixe et au début du xxe siècle, l’entreprise de teinture Diamond Dyes a publié un catalogue de patrons pour le hookage afin d’inspirer les femmes et de les encourager à acheter leurs produits. Certains des patrons avaient des codes de couleur et offraient même les recettes nécessaires pour obtenir avec leurs teintures les couleurs indiquées. Les teintures Ampollina étaient aussi offertes au Canada à la même époque.
Des options contemporaines
Aujourd’hui, la hookeuse contemporaine a accès à toutes ces options. Plusieurs entreprises produisent encore des teintures synthétiques commerciales, comme Majic Carpet Dyes et W. Cushing and Co. (fondée en 1879). Certains experts se spécialisent même dans les recettes et techniques de teinture bien précises pour les hookeuses, comme l’entreprise The Wooly Mason Jar de Moncton, au Nouveau-Brunswick. Diverses boutiques et petites entreprises vendent du lainage et des fils déjà teints dans toute une gamme de couleurs avec les patrons et les outils nécessaires, offerts dans leurs boutiques physiques et virtuelles, ou à des kiosques montés pour des hook-ins et des festivals de fibre.
Les processus de teinture
Le processus pour teindre avec des teintures naturelles et anilines diffère beaucoup.
La plupart des matières colorantes naturelles peuvent être chauffées de 60 minutes (feuilles et fleurs) à plusieurs heures (racines, noix, tiges et écorces) pour en extraire la teinture. On peut laisser la matière colorante dans l’eau plus longtemps pour en retirer davantage de couleur, ou on peut la filtrer tout de suite. On garde ensuite la matière pour en extraire de la couleur une deuxième fois, ou on la jette dans le compost; puisque la matière tinctoriale naturelle n’est que plante, toute cette matière usagée peut être réutilisée. Lorsque la fibre a été mordancée pour bien fixer la couleur (on se sert d’alun pour égayer les couleurs et de fer pour des teintes plus profondes ou terreuses), elle est prête à être rincée et plongée dans le bain de teinture et chauffée jusqu’à presque frémir. Si on change le pH, on peut obtenir différentes teintes ; il est ensuite facile de neutraliser l’eau soit avec du vinaigre, soit avec du soda à pâte.
Pour les colorants acides, le processus est assez direct, mais certains l’ont perfectionné pour créer des recettes faciles à suivre pour obtenir des teintes bien précises et de petites quantités de teinture comme la technique du Wooly Mason Jar Color Wheel Dyeing de Lucy Richard de Moncton. La laine peut être teinte tout de suite après avoir été lavée et les teintures sont fixées à l’aide d’un acide, généralement du vinaigre ou de l’acide citrique. Aujourd’hui, les hookeuses ont accès à de l’information et à des produits de tous genres et peuvent facilement produire les couleurs souhaitées pour leurs tapis. La teinture fait maintenant souvent partie de la conception du tapis. On peut se procurer des livres sur les teintures naturelles et les colorants acides, de petites entreprises et des personnes se spécialisent dans les recettes de teintures et offrent des cours en personne et en ligne et on continue de nourrir la culture de partage qui a toujours été associée au hookage.
Bien que les teintures naturelles arrivées sur le marché canadien dans les années 1850 ont beaucoup réduit le recours à des teintures naturelles dans la plupart des foyers, l’art et la connaissance de ce métier ont connu une résurgence au cours de la dernière décennie. D’ailleurs des groupes communautaires et petites entreprises s’y consacrent. Le groupe Les Couleurs du Pays à Cocagne réapprend et enseigne la teinture naturelle, de la culture des plantes à l’extraction, puis à la teinture. Et des artistes comme Tzigane Caddell perfectionnent l’art et la science de la teinture à l’indigo, où chimie et processus naturels jouent un rôle primordial.
Les techniques
La base
La personne qui veut hooker n’a qu’une technique de base à apprendre pour commencer. On peut approfondir ses connaissances à mesure et on doit évidemment apprendre à faire la finition du tapis. Pour commencer à hooker, après avoir transféré le patron sur le support et avoir installé ce dernier sur son cadre, on doit prendre le crochet dans sa main dominante au-dessus du support. On prend ensuite une lisière de tissus dans l’autre main qu’on installe sous le support. On insère le crochet dans un des trous du tissu du support et on accroche la lisière avec le crochet et on la tire à travers le support. Le début et la fin de la lisière doivent être tirés jusqu’au bout pour rester sur le devant du tapis afin d’éviter que le hookage se défasse. Ensuite, on tire la lisière pour qu’elle forme une boucle d’environ ¼ po à ½ po (½ cm à 1 ¼ cm). On hooke tapis en entier de cette manière ; en tirant des boucles de tissu ou de laine à travers le support pour former ce qu’on appelle un velours : l’effet de tapis.
On commence généralement par les contours des éléments du design, qui sont ensuite remplis. Puis, on remplit le fond. Historiquement, le fond est hooké en lignes droites, mais en employant différentes techniques, on peut créer des effets variés,
même avec une seule fibre d’une seule couleur. On peut suivre le contour des éléments du design encore et encore pour créer un effet de radiation ou dessiner des tourbillons ou d’autres formes sur le fond et les hooker dans différentes directions. Parfois, le fond peut être ce qui active un tapis, puisqu’il ajoute mouvement, couleur et contraste à l’œuvre, attirant ainsi l’attention sur les éléments principaux du design.
Le hookage au poinçon
Le hookage au poinçon crée un effet semblable, mais il est fait avec une aiguille au centre vide dans lequel on insère le tissu ou le fil. On poinçonne ensuite l’envers du support. C’est donc l’arrière du travail qui deviendra le devant du tapis.
Les boucles coupées ou sculptées
Les Écossaises et les Acadiennes ont emporté les techniques de hookage surélevé en Amérique du Nord. Ces techniques portent plusieurs noms : le tapis sculpté et le tapis « raqué », entre autres. La méthode est la même que la hookeuse se serve de fils de laine ou de lisières de flanelle de laine. On élève les boucles dans le motif, généralement des fleurs, des fruits ou des volutes, de plus en plus hautes progressivement à partir du bord du motif vers le centre, afin de le mettre en valeur. Les boucles sont ensuite coupées et sculptées pour former un velours élevé plus tridimensionnel que le reste du tapis. On en voit jusqu’à 3 pouces de hauteur. Nos cousins américains employaient la même technique qu’ils nommaient Waldoboro d’après un village du Maine.
La finition
Lorsqu’on a fini de hooker un tapis, il faut en faire la finition. Mais avant, il faut le passer à la vapeur pour aplatir toute distorsion qui aurait pu se former pendant le hookage. Pour ce faire, on pose une serviette humide sur une surface plane, sur la serviette, on pose le tapis, puis une autre serviette humide. Avec un fer chaud, on aplatit une section du tapis à la fois, sans faire glisser le fer. On pose tout simplement le fer sur la pile créée, on l’y laisse un peu, puis on le soulève et on le redépose sur la prochaine section, ainsi de suite jusqu’à ce que tout le tapis ait été couvert. On retourne ensuite le tapis et on recommence le processus. Une fois le tapis séché, on peut faire la finition.
La finition peut se faire de plusieurs différentes façons toujours populaires aujourd’hui. Une technique particulièrement populaire consiste à plier les bords du tapis vers le dessous et hooker à travers les deux couches du support tout autour du tapis. Cette technique rend parfois cette pliure plus vulnérable à l’usure. Une autre finition consiste à retourner le bord après avoir fini de hooker, puis à le coudre au dos. On y ajoute ensuite un ruban de finition ou une lisière de tissu solide qu’on coud pour couvrir le bord plié afin de le renforcer. Dans une autre technique, on roule le bord autour d’une corde, ou autour de lui-même, jusqu’au bord de la section hookée, puis on le coud au point de fouet ou point roulé pour fixer le bord en place. On l’entoure ensuite d’un fil de laine au même point ou au crochet, pour le protéger de l’usure et cacher le support.
Conclusion
Avec une histoire riche qui s’étend sur plus de 160 ans, le hookage fait partie intégrante des traditions créatives du Nouveau-Brunswick. Cet art est porteur non seulement des histoires intangibles des femmes, enfants et hommes qui fabriquaient les tapis, mais aussi des fibres tactiles, des designs et des outils nécessaires pour produire leurs créations. Ces tapis racontent aussi une histoire, ou plutôt, beaucoup d’histoires par leurs designs, leurs couleurs, leurs motifs et leur imagerie, sans compter leurs usages et leur vaste distribution grâce aux tapis vendus et donnés.
Cette histoire textile, aussi éloquente et évocatrice que toute autre histoire écrite, est surtout racontée de la perspective des femmes créatrices. Elle documente leurs rôles au foyer, dans l’économie et la société ainsi que l’évolution de ces rôles. Elle relate leurs entreprises créatives et les façons dont elles subvenaient aux besoins de leur famille en réchauffant et en colorant leur vie, mais aussi en vendant des articles qu’elles hookaient. Tout cela témoigne de la force des femmes néo-brunswickoises : leur originalité, leur créativité et leur débrouillardise. Elles étaient et sont toujours des femmes d’affaires et des femmes au foyer ; éduquées à l’école et par leurs expériences de vie. Ces femmes ont façonné l’histoire matérielle de la province et, par extension, son histoire générale. Un chandail détricoté, une recette de teinture aux pelures d’oignon, un sac de grains et une boucle à la fois, elles ont hooké la fondation sur laquelle la province s’appuie aujourd’hui.
Aujourd’hui, femmes et hommes continuent de créer des tapis hookés pour le confort, le plaisir, la vente ou comme énoncé artistique, par un processus ancien, mais avec des moyens modernes. Peu importe la façon dont ils rendent leurs émotions et leurs idées, les artistes du hookage sont tenaces, sociaux et très attachés au passé, au présent et à l’avenir de ce mode d’expression polyvalent.
En se plongeant dans le monde de celles et ceux qui hookaient des tapis, on observe des objectifs semblables, mais aussi une diversité dans la façon d’aborder le hookage. Le vaste rayonnement du hookage au Nouveau-Brunswick sous-entend qu’il existe des expériences partagées auxquelles les qualités régionales confèrent encore plus d’intérêt. Cet héritage complexe assure la pérennité du sens qu’a le hookage dans le patrimoine culturel de la province et sa pertinence continue auprès d’une multitude croissante de hookeuses et hookeurs et d’un public fasciné.