Influences au Nouveau-Brunswick

Une guilde et des groupes de hookeuses

Le tapis hooké est bien vivant au Nouveau-Brunswick, et c’est en partie grâce aux groupes de hookage. À mesure que le hookage gagnait en popularité vers la fin du xxsiècle, des groupes de personnes partageant la même passion ont commencé à se réunir. Elles échangeaient de l’information, des conseils sur des aptitudes et des techniques, tout comme les piqueuses qui collaborent depuis des générations lors de corvées ou rassemblements de surpiquage de courtepointes, ou comme les membres des auxiliaires féminins des églises et des instituts féminins.

La Heritage Rug Hooking Guild

À Fredericton, un groupe se démarque : la Heritage Rug Hooking Guild (HRHG), la seule guilde de tapis hookés au Nouveau-Brunswick. En 1982, lorsque les membres fondateurs ont commencé la HRHG, la tradition avait presque disparue. Le groupe s’est alors consacré à la conservation et à la promotion de cet art ancien. La guilde a commencé à offrir aux hookeurs et hookeuses l’occasion de se réunir et de partager des idées, à encourager les membres à développer leur sens de l’originalité et de la beauté dans la couleur et le motif, à conserver des patrons traditionnels et à sensibiliser le public à cette discipline artistique. Le groupe a extrêmement bien accompli ces missions.

La HRHG organise des ateliers et offre des cours sur l’art traditionnel du tapis hooké et sensibilise le public à ce métier par des expositions et de la publicité. L’adhésion est ouverte à tous ceux que le hookage intéresse. Les membres ont des niveaux d’expérience variés et hookent dans toutes sortes de styles, mais ils tiennent tous à la reconnaissance de l’art du tapis comme discipline artistique à part entière, comme la courtepointe.

L’un des aspects intéressants de la HRHG est son accent sur l’éducation. Le groupe organise périodiquement des occasions d’apprentissage pour ses membres et partage continuellement techniques et idées.

La Guilde était l’une des premières à monter des expositions régulièrement pour présenter les œuvres des membres dans différents lieux d’exposition, notamment des galeries d’art et des musées, sensibilisant ainsi le public au hookage comme discipline artistique.

La reproduction du tapis d’Abigail Smith

En 1995, un événement a eu lieu à Fredericton : le célèbre tapis hooké d’Abigail Smith de la collection du Musée du Nouveau-Brunswick était en montre pour une journée à l’occasion de la Semaine du patrimoine à l’exposition de la HRHG au National Exhibition Centre. Peter Larocque, conservateur au Musée du Nouveau-Brunswick, et Doris Norman de la HRHG se rappellent que les visiteurs étaient émus devant le tapis. [Insert link to timestamp 3:09 from the Doris and Peter interview video on Youtube: https://www.youtube.com/watch?v=-Km1gvcBLYc&list=PLKjgVGd2IE78W-fk4a9Dq8jJ-9lGgKSjX&index=16] Pour bien des gens, c’était presque un pèlerinage puisqu’on faisait référence au tapis partout et son image avait été publiée dans tant d’ouvrages. Pour Larocque, ça a été une épiphanie de voir à quel point un objet pouvait toucher les gens ; il a vu la puissance d’un objet fait à la main.

Cet événement a déclenché une entreprise qui s’est étendue sur plusieurs années pour les membres de la HRHG, le Musée et la communauté des métiers d’art. Le tapis d’Abigail Smith avait rarement été exposé en raison de son extrême fragilité. Il était protégé dans une grande caisse plate pour mitiger les dommages qu’entraînent les changements de température et d’humidité. Or, quelqu’un a suggéré que la HRHG pourrait créer une reproduction pleine grandeur du tapis, ce morceau important de l’histoire du tapis au Nouveau-Brunswick, afin que davantage de gens puissent admirer ses qualités uniques dans des expositions, des présentations et des occasions pédagogiques tout en réduisant la possibilité d’endommager et de laisser se détériorer l’original.

Armées d’une énergie et d’un enthousiasme inestimables, les membres de la HRHG ont entamé le processus de reproduction. Avec la collaboration du Musée du Nouveau-Brunswick, le tapis a été examiné, mesuré et photographié. Pendant les quelque deux années qui ont suivi, 15 membres ont déployé des efforts immenses et effectué des recherches approfondies, puis elles ont hooké la pièce.

Au début, une reproduction photographique grandeur nature du tapis servait de matrice pour préparer le patron. Ensuite, le Musée du Nouveau-Brunswick à Saint John a prêté le tapis à la Galerie d’art Beaverbrook à Fredericton pour qu’il soit plus accessible aux membres de la HRHG et qu’elles puissent examiner minutieusement chaque détail. L’original a été scruté sous tous ses angles pour déterminer les couleurs originales, le genre de laine, le nombre de plis, le nombre de fils au pouce carré et la matière du support, les motifs et les techniques de hookage. Le tapis Smith étant assez décoloré, on a soigneusement séparé les boucles pour en découvrir les couleurs originales. On a enfin pris une décision : on reproduirait le tapis dans ses couleurs estompées pour rendre hommage à son apparence actuelle. Le groupe a trouvé la laine pour l’arrière-plan à la filature McAusland’s Woollen Mills à l’Île-du-Prince-Édouard, le seul moulin à produire une laine 8 plis. Pour qu’il survive plus longtemps, le patron du tapis a été copié sur une base de lin plutôt que sur du jute à contexture 20-22 comme l’original. Le groupe a pensé se servir de teintures naturelles, mais a cru que la solidité de la couleur pourrait être un défi. Il a cependant utilisé des pelures d’oignon pour obtenir les tons dorés. Après plus de 380 heures de bénévolat, le groupe a présenté le tapis officiellement au MNB à l’occasion de la Journée du patrimoine, le 16 février 1998. Depuis, la reproduction a été exposée de nombreuses fois lors d’événements et d’ateliers ; les histoires fascinantes du tapis hooké d’Abigail Smith et de sa reproduction revêtent maintenant une importance renouvelée dans l’histoire du hookage au Nouveau-Brunswick.

Le tapis d’Abigail Smith

Quelle est donc l’histoire du tapis d’Abigail Smith? C’est le tapis le plus ancien du Canada qui soit signé et daté avec inscription du lieu où il a été hooké. L’inscription indique : Worked by Abigail Smith New Maryland 1860 (Fait par Abigail Smith New Maryland 1860). On pourrait croire que cette inscription simplifie les recherches sur son histoire, mais, évidemment, ça n’est pas le cas.

Le mystère commence

Dès l’acquisition du tapis hooké d’Abigail Smith par le Musée du Nouveau-Brunswick en 1944, on s’est beaucoup questionné sur ses origines. Pas surprenant que l’histoire du tapis a été bien mêlée au fil des ans puisqu’il y avait tant de facteurs en jeu. En 1967, dans la publication Arts in New Brunswick, Huia Ryder, conservatrice d’art au Musée du Nouveau-Brunswick, décrivait le tapis comme un « agencement fascinant comprenant une colombe, un aigle, un vase rempli de fleurs, une maison, un arbre et une vache entourés d’une bordure fleurie. Le seul matériau utilisé est du fil de laine aux couleurs vives contre un arrière-plan foncé. Le tapis est charmant et pittoresque en apparence, du genre qui se trouve partout sur le continent. » Elle a aussi noté que l’inscription sur le tapis était semblable aux modèles de broderie du jour. Le parcours menant à la vérité s’est étalé sur plusieurs décennies, a requis la participation de plusieurs conservateurs et membres de la collectivité, a demandé des recherches approfondies et… un peu de chance.

Au départ, le tapis a été « trouvé » par un antiquaire ; il était en vente à Dixfield au Maine. Marius Barbeau, ethnologue, folkloriste et conservateur au Musée national du Canada (maintenant le Musée canadien de l’histoire), a entendu parler du tapis d’Edna Greenwood à Malborough au Massachusetts, qui lui a écrit : « à propos du tapis, je veux qu’il reste au Canada, préférablement dans votre musée. C’est là qu’est sa place », c’est-à-dire au Musée national à Ottawa. Le 28 mai 1943, Barbeau a écrit à F. C. C. Lynch, alors responsable du Musée national, pour lui parler de l’importance du tapis : « [Ce] tapis est le spécimen le plus précieux en son genre, à ma connaissance, avec le nom de la personne qui l’a fait et la date. New Maryland est une localité située à quelques miles de Moncton. Ce tapis a été fait par une loyaliste de ce nom à la date indiquée. Cela vaudrait effectivement la peine de le garder au Canada. Autrement, il nous serait perdu pour nos études sur l’art et l’origine de la fabrication de tapis hookés — un sujet qui prend de l’importance. » Barbeau avait situé par erreur New Maryland près de Moncton, d’autres ont supposé qu’il venait de la Nouvelle-Écosse et, en raison du fait qu’il a été trouvé au Maine, d’autres encore croyaient qu’il avait été confectionné au Maine ou en Nouvelle-Angleterre. Edna Greenwood a aussi écrit : « Il y a deux ans, j’ai trouvé un tapis qui était évidemment de facture néo-écossaise avec l’inscription New Maryland 1860 hookée dans son design. Je voulais tellement l’acheter, mais son propriétaire demandait 125 $ (il mesurait environ 3 pieds sur 2 pieds) parce qu’il était fait au Maryland aux États-Unis pendant la Guerre civile américaine. » Il semble que tout le monde tentait de s’approprier cet important tapis nord-américain pour sa propre région.

Malgré les efforts de Barbeau, mais surtout à cause des exigences de la Seconde Guerre mondiale, le tapis ne s’est pas rendu à Ottawa. Heureusement, il a trouvé sa demeure au Canada. En 1944, on a diffusé une demande d’assistance financière pour l’acheter et grâce à la générosité de Christina J. et de Sophie R. MacLaren de Saint Andrews, le Musée du Nouveau-Brunswick à Saint John au Nouveau-Brunswick a pu l’acquérir pour sa collection permanente. Voilà un autre exemple de l’initiative des femmes pour sauvegarder des traditions culturelles. Le don des MacLaren était un appui exceptionnel, surtout avec l’austérité de la Grande Dépression et la privation des années de guerre.

À la fin de 1944, le tapis était abrité en sécurité dans la province, mais on n’avait pas encore démêlé tous ses mystères. Après avoir certifié que le tapis provenait du Nouveau-Brunswick, près de Fredericton dans la collectivité de New Maryland, il fallait encore confirmer l’identité de la hookeuse. Quelques membres du public ont envoyé des lettres déclarant qu’ils avaient une ancêtre dénommée Abigail Smith et que c’est elle qui aurait hooké le tapis. Après des recherches, on a découvert au moins cinq Abigail Smith dans la région de New Maryland âgées de 9 à 80 ans à l’époque de la production du tapis. Vers la fin des années 1980, Noël Ireland, une chercheuse de Rusagonis, a effectué une révision approfondie de nouvelles archives qui venaient d’être rendues accessibles. Après avoir réfléchi à toutes les options, on a décidé que la candidate qui aurait le plus probablement hooké le tapis était Abigail Smith (1818-1861), fille d’Israel Smith et de Sarah Tracey. Elle avait enseigné de nombreuses années dans une petite école de campagne construite sur la propriété de son père à New Maryland. Ce récit a fait consensus jusqu’en 2008, l’année où le Musée de la région de Fredericton (York Sunbury Historical Society) a reçu un échantillon de broderie, ce qui a lancé une réévaluation de l’origine du tapis.

Le mystère est résolu

L’échantillon de broderie avait été fait par Susannah Smith, âgée de neuf ans en 1953, et arborait presque la même inscription et les mêmes motifs que le tapis hooké d’Abigail Smith. Une pièce de correspondance dans les dossiers du Musée du Nouveau-Brunswick racontait que le tapis avait été fait par Abigail Smith âgée de 13 ans et que le patron avait été dessiné par sa sœur aînée, Susannah, âgée de 16 ans. Ces informations provenaient de Mme Alma E. Estey (1875-1958), fille d’Abigail Smith, mais avaient été mises de côté parce qu’on estimait que le tapis était trop gros et trop complexe pour avoir été fait par une si jeune personne. Si l’on regarde la précision impressionnante de l’autre broderie faite pendant son enfance, avec du recul, il est facile d’imaginer que le tapis avait été confectionné par une fille capable et déterminée qui approchait l’âge adulte. Cette preuve définitive confirmait finalement la réelle identité de celle qui avait hooké le tapis le plus célèbre de la province.

Doris Norman

Doris Norman, une des membres fondatrices de la HRHG, a été un catalyseur dans la renaissance du tapis hooké au Nouveau-Brunswick, une discipline qu’elle a aidé à s’épanouir. Norman est une hookeuse habile qui enseigne le métier et inspire d’autres à s’y adonner depuis plus de 35 ans. Née à Blacks Harbour et élevée à Deer Island et Saint John elle a vécu à Fredericton presque toute sa vie adulte. Le hookage fait partie de sa pratique artistique depuis longtemps — en fait depuis ses plus tendres souvenirs où elle admirait les tapis hookés de sa grand-mère Bradford dans le couloir au deuxième étage de sa maison. Ce souvenir l’accompagne toujours et lorsqu’elle a commencé à hooker, elle s’est mise à se consacrer au métier de maintes façons.

Pour aller à l’école de la Rug Hooking Guild of Nova Scotia (RHGNS), Norman enseignait une année, puis étudiait la suivante. Elle est enseignante certifiée de la guilde depuis 1985 et instructrice Pearl McGown depuis 2007. Elle est membre de l’Association of Traditional Hooking Artists (ATHA : association d’artistes du hookage traditionnel), de l’International Guild of Handhooking Rugmakers (TIGHR : guilde internationale de tapis hookés), de la RHGNS et de l’Ontario Hooking Craft Guild (OHCG : guilde du métier du hookage de l’Ontario). Elle a aussi enseigné aux écoles de hookage de Terre-Neuve-et-Labrador. En hookage, Norman se spécialise dans l’art celte, l’art de William Morris, l’imagerie jacobine, les styles réaliste et primitif, l’art maya et péruvien et le style vitrail en plus de maîtriser les techniques de teinture.

À l’échelle locale, Norman a joué un rôle important et actif dans la revitalisation de hookage et son essor actuel. Elle a offert des cours du soir en hookage au Collège d’artisanat et de design du Nouveau-Brunswick et au Collège communautaire du Nouveau-Brunswick, inspirant du coup bien des gens à se joindre à la guilde ou à des groupes locaux. Ainsi, elle a fait en sorte que le hookage demeure bien vivant dans les collectivités de la province. Elle est aussi membre fondatrice du Registre des tapis du Nouveau-Brunswick. Mais ce n’est pas tout, elle a été la première enseignante à mener le programme EdVenture de Fredericton, un modèle de vacances éducatives instauré dans la région. Elle a aussi offert des cours à Sitansisk (la Première Nation de Saint-Mary’s). Ses œuvres ont été publiées dans les revues Canadian Living et Rug Hooking Magazine et dans les ouvrages Hook Me a Story de Deanne Fitzpatrick et Story Rugs de Paulette Hackman. Une de ses pièces se trouve dans la collection permanente de la Galerie d’art Beaverbrook et bien d’autres, dans des collections privées.

Pour Doris Norman, la communauté du hookage est généreuse et se nourrit des interactions liées à l’apprentissage et de l’évolution de l’art et du métier d’art qu’est le hookage. Les enseignantes et enseignants et les élèves devraient aimer ce qu’ils font, et hooker ce qu’ils aiment ; que ce soit un patron, un patron modifié ou leur propre design, traditionnel ou contemporain. L’un des points auxquels elle tient mordicus : avant de reproduire ou de modifier un patron ou une image, la hookeuse ou le hookeur doit toujours demander la permission de le faire, les droits d’auteur étant si importants.

La communauté du hookage

Aujourd’hui, les communautés virtuelles servent aussi de forums d’échange pour les hookeuses. De nombreux groupes Facebook se consacrant exclusivement au hookage réunissent des artistes de partout dans le monde. Des créatrices comme Deanne Fitzpatrick à Amherst, en Nouvelle-Écosse, et Lucy Richard à Moncton offrent des cours et des tutoriels en ligne. De plus, les guildes ont ancré la place du hookage dans les arts et métiers d’art textiles. La Heritage Rug Hooking Guild est la seule guilde du Nouveau-Brunswick, cependant, le conseil d’administration de la Rug Hooking Guild of Nova Scotia (RHGNS) compte plusieurs représentants du Nouveau-Brunswick. À l’échelle mondiale, l’International Guild of Handhooking Rugmakers (TIGHR) compte aussi de nombreux membres dans la province.

Le hookage continue aussi de vivre et de se développer grâce à plusieurs groupes dans la province, de Saint Andrews à Fredericton, de Saint John à Shediac et de Richibouctou à Sussex, des hookeuses et hookeurs se réunissent périodiquement pour hooker, apprendre et échanger. Nombreux sont les groupes qui créent des occasions d’apprentissage. Le RHGNS, notamment, organise une école annuelle de hookage où des enseignantes et enseignants certifiés et qualifiés offrent des ateliers de hookage sur plusieurs thèmes.

Dans le sud-est de la province, Les Hookeuses du Bor’de’lo, un groupe commencé par des élèves de Gabrielle Savoie-Robichaud, pratiquent, promeuvent et exposent l’art du tapis hooké de manières innovatrices. Les membres du groupe créent des œuvres murales hookées, souvent basées sur un thème, et se servent de matériaux inusités ; certaines pièces sont sculpturales et d’autres, des murales en mosaïque. Les membres, généralement de 15 à 20 personnes, sont des femmes (et parfois des hommes) aux expériences variées. Par leur mission, le groupe cherche notamment à faire évoluer, à perpétuer et à enseigner le hookage dans la région. Les membres ont monté des expositions de groupe dans quatre Congrès mondiaux acadiens et exposé leurs tapis dans des musées et des galeries comme le Musée du Nouveau-Brunswick, le Musée acadien de l’Université de Moncton et le Centre des arts de l’UNB. La majorité de leurs œuvres sont des patrons originaux. Toutefois, en prévision du Congrès mondial acadien 2014 qui allait se tenir dans la région d’Edmundston, les membres Annie Richard et Line Godbout ont rencontré l’artiste acadien avant-gardiste Claude Roussel, originaire de la région d’Edmundston, pour organiser une exposition unique qui voyagerait dans tout le Nouveau-Brunswick. Le groupe a transposé certaines des premières œuvres et designs de Roussel en tapis — une collaboration qui s’est avérée instructive pour le groupe et qui a ouvert l’artiste à de nouveaux publics.

Au cours des dernières années, plusieurs groupes se sont organisés, de manière officielle ou non, pour créer des expositions et contribuer à l’art du hookage :

Hookeuses de Grande-Digue Hookers, Grande-Digue

Les Hookeuses du Bor’de’lo, Shediac

Sussex Tea Room Rug Hookers, Sussex

Past Time Matters, Moncton

Past Time Matters Eve. Rug Hooking Group, Moncton

Kent Hookers/Hookeuses de Kent, Richibucto

Miramichi Rug Hookers

Riverview Rug Hookers

Quoddy Loopers, Saint Andrews

Carnegie Rug Hookers, Saint John

KV Library Rug Hookers, Quispamsis

The Cathedral Matters Guild, Fredericton (no longer hooking together, proceeds donated to Cathedral restoration fund)

The Evening Matters, Fredericton

Plaster Rock Legacy Loopers, Plaster Rock

Lighthouse Rug Hooking Group, Saint Andrews

The McAdam Hookers, McAdam

Les tapis d’enveloppes de maïs

Le Musée du Nouveau-Brunswick abrite deux tapis rares et hors de l’ordinaire faits d’enveloppes de maïs. Le plus vieux, datant d’environ 1840, aurait été fait par Mary Ann Toole (1816-1897) avec l’assistance de sa mère Amy Shaw Toole (1788-1876) de Kars dans le comté de Kings. Hooké avec des enveloppes de maïs naturelles et teintes, le tapis présente un motif central composé de branches feuillues vertes entouré d’une bordure géométrique à chevrons en blocs verts. Un autre tapis, dont la date est établie à février 1900, a été créé par Margaret Ann McVicar Barton (1849-1914) de la municipalité de The Range dans le comté de Queens. Sa fille Amy Iva Barton Wanamaker (1881-1970) décrit ici la technique utilisée par sa mère : « Ma mère mouillait quelques enveloppes à la fois et les enroulait dans un linge pour les garder humides pendant qu’elle hookait. » Le tapis était sur le plancher du salon et il a été « utilisé souvent et durement » pendant environ 65 ans. À ce jour, aucun autre spécimen de tapis d’enveloppe de maïs n’a fait surface.

Un sens de l’appartenance régional

En raison de leur isolement et des moyens de communication limités, mais aussi pour des raisons de fierté culturelle, les artisans de certaines régions ont mis au point des techniques et des éléments décoratifs qui sont devenus des signes distinctifs régionaux. Les collectivités acadiennes, par exemple, produisaient communément des tapis avec des fleurs sculptées, surélevées. Un phénomène semblable s’est produit dans le comté de Charlotte où on encourageait les fabricants locaux à concevoir des patrons qui comportaient des scènes locales avec des couleurs locales.

Parfois, la vie de campagne pouvait entraîner un sentiment d’isolement et, avec le besoin naturel d’établir des liens et une communauté, les femmes se réunissaient souvent pour tenir des « frolics ». Peut-être heureuses de sortir de la maison, elles rejoignaient d’autres femmes pour travailler sur un tapis, qu’elles essayaient souvent de finir en une seule journée, une coutume aussi commune chez les piqueuses de courtepointes. Les femmes qui se réunissaient hookaient aussi leur propre tapis. Cette habitude a préparé la voie pour les groupes de hookeuses et les « hook-ins » contemporains.

Les tapis ont évolué depuis leurs débuts comme couvre-planchers utilitaires, nécessités et commodités. On les posait sur les planchers de bois nu pour réchauffer les pieds et la demeure. Mais ces planchers étaient difficiles à laver, alors lorsque les marchands ambulants (souvent appelés « peddleux » chez les Acadiens, de l’anglais peddler) se sont mis à vendre de la toile cirée (« oilcloth »), les femmes ont rapidement accepté d’échanger leurs beaux travaux d’aiguille contre ces couvre-planchers faciles à laver.

De plus, pendant la Seconde Guerre mondiale, un changement social remarquable se produisait : un nombre croissant de femmes entraient sur le marché du travail et, avec l’introduction du mazout et des systèmes de chauffage central, on avait moins besoin de tapis, sauf peut-être pour arrêter les courants d’air devant certaines portes et fenêtres.

Avec tous ces changements, l’utilité des tapis et la façon de les aborder ont aussi évolué. Dans les villes, de plus en plus de gens achetaient des tapis hookés pour les accrocher aux murs comme œuvres d’art. On a commencé à fabriquer des tapis pour des expositions, puis, dans les années 1920 et 1930, les antiquaires se sont mis à chercher des tapis comme art populaire surtout pour les vendre sur le marché américain à Boston et à New York. Il en était de même pour les organismes et les personnes qui essayaient d’aider les producteurs et productrices de tapis locaux à gagner leur pain. La mission Grenfell à Terre-Neuve-et-Labrador, Grace Helen Mowat à Saint Andrews, les Gagetown Hookers au Nouveau-Brunswick, les Hookeuses de Chéticamp au Cap-Breton vendaient tous leurs tapis sur le marché américain. Ida Boudreau de Memramcook vendait, elle aussi, ses tapis aux touristes. Seule à subvenir aux besoins de sa famille après le décès de son mari, Boudreau hookait un tapis après l’autre, parfois deux par semaine, en plus de cultiver de la sarriette, et elle vendait le tout à des passants. Heureusement, un bon nombre de ses créations ont été vendues à des gens du coin ou elles étaient des commandes locales ; ainsi une bonne partie de son œuvre est demeurée au Nouveau-Brunswick, surtout dans la région du sud-est.

Il est vrai que les connaissances sur la production des couvre-planchers n’ont jamais cessé d’évoluer. On les enseignait parfois aux programmes d’études supérieures. Ivan Crowell, directeur de la division de l’artisanat du ministère de l’Industrie et de la Reconstruction à partir du milieu des années 1940, par exemple, sillonnait la province pour recueillir des informations sur les traditions folkloriques et les incorporait à ce qu’il enseignait dans divers programmes. Un peu comme le travail de Marius Barbeau au Québec, les recherches sur le hookage et l’intégration de leurs résultats au curriculum ont perpétué ces méthodes, ce savoir-faire et ces traditions.

L’artiste et pédagogue féminine la plus influente du programme d’arts appliqués du Collège des femmes de Mount Allison à Sackville est sans aucun doute Elizabeth (Bessie) McLeod (1875-1963). Par sa carrière de professeure à Mount Allison et son investissement dans les métiers d’art sur la scène culturelle locale, elle a eu une influence énorme sur une génération d’étudiants qui deviendraient praticiens de leur métier d’art. McLeod a dirigé le département de 1916 à 1935, mais, parce que c’était une femme, elle n’a été nommée officiellement au poste qu’en 1930. Néanmoins, elle a mené la création de la Guilde d’artisanat de Mount Allison et a collaboré étroitement avec l’Association d’art de Sackville ; ses idées ont eu une incidence importante sur la direction du programme et le développement de son curriculum.

D’autres, comme Grace Helen Mowat, grâce à son éducation à l’école d’art pour femmes de la Cooper Union à New York, a employé son sens des affaires et sa fierté en sa région pour fonder à Saint Andrews l’entreprise Charlotte County Cottage Crafts. Du coup, elle a influencé le design, l’offre et la valeur artistique des tapis hookés.

Le hookage de tapis a été tour à tour un besoin, un art décoratif, un art populaire et un art en soi. Certaines de ces catégories coexistent encore dans l’esprit collectif d’aujourd’hui. Comme œuvres d’art populaire, les tapis doivent avoir un sens du design, mais elles doivent aussi inspirer des émotions et des souvenirs et évoquer la sensibilité de la hookeuse. Les créateurs mettent un peu d’eux-mêmes dans leurs tapis par leur intuition artistique, les couleurs choisies ou teintes et même le choix des matériaux (certains des vêtements portent aussi leur propre histoire). À leur summum, les sujets populaires charmants ont certes donné une pointe de nostalgie aux pièces, ce qui les a rendues encore plus convoitées tant par les touristes que par les acheteurs urbains. En représentant leur propre vie, les sujets qu’ils connaissaient, des dictons ou même des dates et des noms commémoratifs, les hookeurs et les hookeuses créaient un brin d’histoire. Réciproquement, le tapis hooké fait partie de l’histoire du Nouveau-Brunswick et des Néo-Brunswickoises.

Cette carte montre où le fils de la hookeuse a combattu pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Les expositions, les foires et les prix

Lorsque les tapis ont commencé à être montrés à l’extérieur de la maison, ils ont vu leur reconnaissance et leur réputation grandir. Des foires agricoles aux musées d’art, le Nouveau-Brunswick a vu de superbes démonstrations de savoir-faire et de qualité artistique sur ses planchers et ses murs.

Pendant la seconde moitié du XIXsiècle, des femmes exposaient leurs tapis dans des foires agricoles. L’acte de présenter son tapis pour le faire juger plaçait l’objet dans une tout autre sphère, celle des arts visuels, élevant du coup comment il était perçu. Les exposantes montraient leurs habiletés tant manuelles qu’artistiques : la précision, la finition, le choix des couleurs, le patron, l’adaptation. Elles prenaient dès lors les premiers pas qui mèneraient à la reconnaissance du hookage comme forme d’art.

Le commentaire suivant, tiré du Saint John Morning News en 1851, sur un « tapis d’âtre » par Mlle Mitchell, donne une bonne idée de la nouvelle perception face aux tapis :

« C’est un drôle d’objet. Fait de guenilles, pourtant travaillé si finement qu’on dirait un article tissé à la machine, avec une belle figure au centre. » L’auteur note que le tissu est de provenance modeste, bien que très économique et durable, mais félicite la créatrice pour la beauté et le raffinement de son travail.

Les foires de Sackville, de Saint John et de Fredericton vers la fin du même siècle montrent toutes des prix accordés pour de superbes tapis de laine, tapis hookés ou de laine noués, dans la catégorie des travaux de dames (Ladies’ Fancy Work en anglais). Pour le premier prix à l’exposition de Fredericton, Mme P. Carter de Pointe du Bute recevait une somme de 2,00 $ (ce qui équivaut à près de 65 $ aujourd’hui). La Foire agricole de Sainte-Marie dans le comté de Kent accordait à la hookeuse prolifique Ida Boudreau le premier prix pour son tapis La maison dans les bois.

C’est ce genre de reconnaissance qui a enfin encouragé les créatrices à donner une nouvelle valeur à leurs tapis et à demander un prix plus élevé, un prix qui reflétait davantage la valeur réelle de la pièce en matière de créativité et de temps de production.

Dans les années 1930, Marie-Louise Allard-Blanchard a aussi obtenu des prix pour des tapis qu’elle avait conçus : le 1er prix à l’Exposition de Chatham en 1931 et en 1934, puis une reconnaissance de l’Institut des femmes du Nouveau-Brunswick comme membre à vie en 1935.

Des expositions modernes

Les expositions de la Heritage Rug Hooking Guild

L’exposition du bicentenaire

En juin 1984, la Heritage Rug Hooking Guild produisait sa première exposition dans le cadre des célébrations du bicentenaire du Nouveau-Brunswick. Le montage s’est fait à l’édifice du centenaire à Fredericton. Cet événement était opportun ; il rendait hommage au passé tout en le préservant pour l’avenir. Les membres ont répondu à des questions et offert des démonstrations du métier sur place. C’était la première fois que le hookage attirait tant l’attention dans la collectivité.

Rugs Come Alive in ’95 (des tapis vivants en 1995)

Cette année marquait le début d’une entreprise importante pour la Heritage Rug Hooking Guild. Cette exposition est l’endroit où a germé l’idée de faire une réplique du tapis d’Abigail Smith. Mais l’exposition présentait aussi bien d’autres tapis. Environ 60 pièces des membres de la Guilde ont été présentées ; les différentes techniques, du dégradé et du hookage précis aux patrons primitifs, montraient la diversité de la Guilde et son ouverture à tous les styles et techniques.

La Guilde a aussi produit une exposition intitulée Art to Walk On (de l’art sous nos pieds) en 2003 et continue de présenter des expositions annuelles, souvent accueillies à la Résidence du gouverneur à Fredericton, y compris une petite exposition dans le cadre d’une autre pour commémorer le 150e anniversaire du Canada.

Erin McKenna

Erin McKenna est une hookeuse chevronnée et une commissaire néo-brunswickoise. Sa passion pour le métier l’a amenée à l’enseigner, le partager et le montrer. Membre de la NSRHG, d’ATHA et de la National Guild of Pearl K. McGown Rug Hookrafters, inc. et hookeuse membre du Sussex Tea Room Hookers, elle a organisé trois expositions phares de tapis dans les Maritimes. Elle siège comme directrice par mandat spécial représentant le Nouveau-Brunswick au conseil d’administration du Hooked Rug Museum of North America (HRMNA : musée des tapis hookés de l’Amérique du Nord).

En 2014, McKenna a organisé une exposition célébrant le travail de Grace Helen Mowat (Nell) de Charlotte County Cottage Craft à Saint Andrews pour marquer le 100e anniversaire de l’entreprise et de l’art de Mowat au centre des arts de Saint John. Avec Evan et Michelle Ross, propriétaires actuels de Cottage Craft Limited à Saint Andrews, et les fondateurs du HRMNA, Suzanne et Hugh Conrad, elle a retrouvé certains des patrons originaux de Nell et trouvé des hookeuses qui les recréeraient pour l’exposition commémorative. Les hookeuses provenaient de partout au Nouveau-Brunswick, et bon nombre d’entre elles vivaient encore dans la région ou sentaient toujours une connexion avec Cottage Craft. L’influence de Grace Helen Mowat se fait toujours sentir aujourd’hui. L’exposition fait partie de la collection permanente en montre au HRMNA à Hubbards en Nouvelle-Écosse.

En 2017, McKenna a organisé l’exposition Ganong Chocolate Box qui célébrait le 100e anniversaire des chocolats Delecto, aux boîtes imagées. Fondé en 1873, Ganong se distingue par son âge ; il s’agit de l’entreprise chocolatière indépendante la plus vieille possédée par une famille au Canada, et elle fait tous ses produits à Saint Stephen. McKenna a été inspirée en voyant une exposition de leurs boîtes de chocolat et leurs publicités de tramways d’époque. Après avoir obtenu la permission de Ganong pour reproduire les artéfacts sous forme de tapis afin de monter une exposition en hommage à ce patrimoine néo-brunswickois, McKenna a trouvé des hookeuses que le projet intéressait. Il semble qu’il ait pris son envol puisque 49 tapis de designs Ganong ont été hookés pour l’exposition par des hookeuses et hookeurs de partout au Canada et même des États-Unis. Le projet, échelonné sur trois ans, a mené à une exposition qui coïncidait avec le 150e anniversaire de la Confédération canadienne et le 100anniversaire des chocolats Delecto. L’exposition a été présentée à Saint Andrews et fait maintenant partie de la collection permanente de la section néo-brunswickoise du HRMNA. En 2018, McKenna a aussi organisé l’exposition de tapis de l’école du nord des enseignants de la guilde McGown au Nichols College à Dudley au Massachusetts.

Les Hookeuses du Bor’de’lo – de 1995 à aujourd’hui

Les Hookeuses du Bor’de’lo ont monté plusieurs expositions originales, dont une présentation de sculptures d’oiseaux 3D en tapis hooké en 2009 pour le Congrès mondial acadien intitulée Les oiseaux de nos rivages. Symphonie en H, une exposition de tapis abstraits de grand format a été inspirée par un atelier de peinture et présentée au Théâtre Capitol et au Centre des arts et de la culture de Dieppe en 2012. De plus, une belle collaboration avec le programme Génie Arts du ministère du Tourisme, du Patrimoine et de la Culture a amené les artistes dans les écoles. Les élèves ont dessiné leur perception de contes traditionnels acadiens et Les Hookeuses du Bor’de’lo les ont transformés en tapis. Les pièces ont été montrées à plus d’une occasion, notamment lors du Congrès mondial acadien 2009 qui s’est tenu dans la péninsule acadienne. Leur exposition hommage à Claude Roussel, Les Hookeuses du Bor’de’lo et Roussel, a été présentée à Edmundston ainsi qu’au Musée acadien de l’Université de Moncton.

En 2019, seize membres du groupe ont créé 48 pièces hookées pour la Place Resurgo du Musée de Moncton sur le thème Cultiver son jardin intérieur. Tous les artistes devaient créer une série de trois pièces qui représentait ce qui les fait grandir, ce qui les inspire et ce qui les motive et sur laquelle les artistes pourraient se baser pour poursuivre leur lancée créatrice après l’exposition. Résultat : 48 tapis avec des interprétations différentes du thème et dans diverses formes et tailles, notamment deux grandes pièces sculpturales. Le personnel de la Place Resurgo et les membres des Hookeuses du Bor’de’lo ont fourni de l’interprétation pour l’exposition, des ateliers pour enfants, une formation pour le personnel et des composantes interactives, soit des entrevues vidéo du Registre des tapis ainsi qu’un tapis communautaire où les visiteurs pouvaient s’essayer au hookage, avec des membres du groupe qui venaient hooker sur place au cours des quatre mois de l’exposition.

Pulling Loops of Love for New Brunswick

En 2014, Joy Trites, fondatrice du groupe de textile au Lutes Mountain Heritage Museum et membre des Moncton Matters et de la RHGNS, a lancé l’idée d’une exposition de tapis centrée sur le Nouveau-Brunswick. Pour célébrer l’art du hookage, les artistes textiles et les hookeuses du Nouveau-Brunswick ont été invitées à exposer ou à créer un tapis pour le musée. Sur le thème « ce que j’aime du Nouveau-Brunswick », une trentaine de tapis ont été exposés et ils ont accompli exactement ce que le hookage fait le mieux : raconter une histoire. Les aspects ruraux de la province étaient représentés par des édifices, des paysages et des plantes; par ses histoires, réelles et imaginaires; par ses industries, ses passe-temps, ses familles et ses traditions, mais aussi son sens de l’humour. L’exposition s’est ensuite rendue à HRMNA à Hubbards en Nouvelle-Écosse où elle a été montrée à un tout nouveau public de touristes et de gens de la Nouvelle-Écosse et des Maritimes.

200 coussins pour mon 200e

En 2017, pour célébrer le 200e anniversaire de l’Église historique de Saint-Henri-de-Barachois, Rémi Lévesque a lancé un projet qui grandirait bien au-delà de ce qu’il avait escompté.

Cette église est l’un des édifices acadiens les plus vieux à toujours se trouver dans son emplacement original. Ne servant plus aux services religieux, elle a été transformée en salle de concert, la Salle Viola-Léger, et en salle d’exposition, la Salle Léon-Léger. Pendant la saison des concerts, les gens ont commencé à apporter leurs propres coussins pour rendre les bancs d’église en bois massif plus confortables. En partenariat avec Les Hookeuses du Bor’de’lo et les Island Matters Rug Hookers de Charlottetown, Lévesque et le comité de l’église ont commencé à installer les superbes coussins hookés pour le confort du public. L’idée était d’obtenir au fil du temps assez de coussins pour tous les sièges, ou 200 coussins pour mon 200e anniversaire. Les coussins ont été donnés à l’église et sont devenus la collection permanente la plus importante en son genre au Canada.

Après bien des mois passés à rendre visite à des groupes de hookage, des écoles et des événements, les organisateurs ont vu le nombre d’inscriptions de coussin croître exponentiellement. En 2020, l’église était fière de posséder une collection variée de coussins hookés contemporains de chacune des provinces et chacun des territoires canadiens, ainsi que des coussins venus d’Angleterre, du Japon, de l’Écosse, de l’Australie et de la Gambie. Le comité d’organisation s’affaire maintenant à créer une collection intitulée USA50 pour représenter les états américains (en 2024, les 50 états étaient inscrits) dévoilée le 4 juillet 2021.

Home Economics: 150 Years of Canadian Hooked Rugs (économie familiale : 150 ans de tapis hookés canadiens)

Cette exposition itinérante, organisée en 2019 par le Textile Museum of Canada à Toronto, met en vedette des tapis hookés avec des histoires et un passé uniques pour représenter le hookage en Amérique du Nord. Plus de 100 tapis des archives du Musée, représentant toutes les régions, ont été montrés dans cette exposition, y compris des pièces d’artistes des Maritimes.

L’exposition met en lumière le travail des femmes, leur place dans l’art ou les métiers d’art canadiens, les traditions populaires, la réutilisation de matériaux et la vie rurale. Home Economics « explore les moyens par lesquels l’artisanat et le commerce ont été bien entrelacés et ont produit des expressions iconiques qui témoignent du talent artistique, des habiletés et de l’imagination créative individuelles, ainsi que du paysage social et économique en général ». On remarque les identités régionales et les patrons locaux, des liens, justement, entre l’économie familiale et les industries locales comme les filatures de laine, et le commerce par le troc ou la vente et finalement la stimulation de la fierté et de l’imagerie locale.

Pour ce qui est des exemples modernes de tapis hookés, l’exposition présente des œuvres de Joanna Close, native du Nouveau-Brunswick et résidente de la Nouvelle-Écosse, tirées de sa série Documenting the Farm (documenter la ferme). L’exposition comprend aussi des pièces d’artistes influentes dans la région Atlantique, notamment de la Nouvelle-Écosse : Deanne Fitzpatrick, Hannah Epstein, avec ses œuvres excentriques de style graffiti, et Nancy Edell (1942-2005). Edell précise que, historiquement, ce qui distinguait l’artisanat de l’art était le sexe du créateur. Le fait que certaines disciplines en création ont été associées aux femmes a inséré leur médium et leur créativité dans le monde de l’artisanat plutôt que celui de l’art. Métier d’art ou art visuel, le hookage est, et il a toujours été, une discipline artistique de plein droit. Le travail des femmes, qu’il soit utilitaire, décoratif, commentaire social ou autre, est un exutoire créatif depuis plus de 150 ans.

 

Exposition de Judith Thorpe, 1977

En 1977, Judith Thorpe, une des premières hookeuses du groupe d’artistes de la fibre de Fredericton, a tenu une exposition de tapis qu’elle avait hookés d’après des designs des Premières Nations en piquants de porc-épic. Elle était pionnière du tapis hooké et ses pièces rendaient hommage à un art des Premières Nations qui tombait un peu dans l’oubli à l’époque. Depuis, l’art du piquant de porc-épic et le hookage ont vu plus d’une résurgence au Nouveau-Brunswick.

Hookeurs et hookeuses par région

Étant donné que le hookage était surtout une affaire de femmes, il n’est pas surprenant de voir à quel point elles ont influencé leurs contemporains, que ce soit par leur hookage, leurs petites entreprises ou leur travail d’enseignantes. Dans trois régions du Nouveau-Brunswick, au moins une femme a fortement encouragé l’art du hookage : dans le nord-est, Marie-Louise Allard Blanchard des années 1920 aux années 1950; dans le sud-est Gabrielle Savoie-Robichaud dans les années 1960 et 1970; et dans le sud-ouest, Grace Helen Mowat de 1914 à 1960. À ce jour (2021), on ne possède pas suffisamment d’information sur le hookage dans le nord-ouest de la province pour en connaître les influenceuses.

Marie-Louise Allard Blanchard (1871-1959)

Née à Pictou en Nouvelle-Écosse, Marie-Louise (Minnie) Allard Blanchard a déménagé avec sa famille à Pokemouche au Nouveau-Brunswick alors qu’elle était encore petite. En 1894, elle a quitté son poste d’enseignante pour épouser Joseph L. Blanchard de Caraquet. En 1919, après la naissance de ses six enfants, elle s’est lancée dans la promotion et la production des arts textiles traditionnels dans sa région. Elle a installé une entreprise locale d’artisanat où elle vendait des textiles faits à la main ainsi que des tapis hookés. D’abord située dans un des édifices de transformation de poisson qui avait appartenu à l’entreprise William Fruing, qui avait récemment déclaré faillite, elle a plus tard déménagé son entreprise dans le magasin général de son mari. Elle y employait douze femmes du coin et leur enseignait les techniques nécessaires au hookage et au tissage. Bon nombre des patrons étaient originaux et les hookeuses les produisaient en laine, en soie ou en coton selon les précisions du client.

En plus de vendre une centaine de tapis chaque année, Marie-Louise Allard Blanchard a voyagé pour donner des conférences et des démonstrations. Elle a montré ses œuvres dans des expositions et des foires au Canada et aux États-Unis et elle a obtenu de nombreux prix. Même la collection General Motors possède un de ses tapis ! En 1935, Allard Blanchard a été déclarée membre à vie de l’Institut féminin du Nouveau-Brunswick pour ses réalisations et ses contributions à l’Institut. Son influence sur le hookage se fait toujours sentir.

Son centre d’artisanat est devenu le premier musée de la collectivité et a inspiré le Musée acadien de Caraquet qui a ouvert ses portes en 1967 et qui abrite une collection permanente consacrée aux réalisations d’Allard Blanchard.

Gabrielle Savoie-Robichaud (1932-2022)

Au fil des ans, Gabrielle (Gaby) Savoie-Robichaud a influencé plus d’une génération à ramasser un crochet et à se mettre à la technique ancestrale du tapis hooké. Après avoir étudié à l’Université de Moncton, puis en France, elle a commencé à marier les arts visuels et les métiers d’art dans ses œuvres textiles. De 1969 à 1972, elle a exploité une galerie à Barachois, Au Clapet, au deuxième étage de la grange de son frère artiste, Roméo Savoie. Elle y vendait notamment des tapis hookés. Ses propres tapis se trouvent maintenant ailleurs au Canada et en France.

Il est fort possible qu’elle ait appris à hooker d’Yvonne Dupuis, qui hookerait même des tapis pour Savoie-Robichaud d’après ses croquis. À l’époque, le hookage était sur le point de disparaître. Elle a donc commencé à l’enseigner. Elle a partagé ses connaissances et ses techniques avec bien des élèves, y compris quelques hommes du village. Savoie-Robichaud a offert des ateliers pendant sept ans, où elle encourageait les participants à créer leurs propres patrons.

Son influence a eu l’effet de dominos, menant à la création des Hookeuses du Bor’de’lo, puis, une des membres du groupe, Danielle Ouellet, a enseigné le hookage à Grande-Digue. À partir de là, Marielle Poirier a fondé le groupe de hookeuses de Grande-Digue.

Grace Helen Mowat (1875–1964)

Née à Beech Hill, Grace Helen (Nell) Mowat, ou la comtesse de Charlotte, comme l’avait surnommée Bliss Carman, a étudié à la Women’s Art School (l’école d’art pour femmes) du Cooper Union à New York, où elle a appris que l’art devrait être payant. En 1914, de retour au Nouveau-Brunswick pour s’occuper de son père vieillissant, elle a entrepris de créer une industrie artisanale où tout serait local : l’imagerie, la laine et la main-d’œuvre. Par son entreprise, Charlotte County Cottage Craft, elle et une centaine d’employés, surtout des femmes, ont raconté l’histoire de la région et de ses habitants. Pour ce qui est du hookage, Mowat a commencé à concevoir quelques petits patrons elle-même parce qu’elle savait que des patrons attrayants attireraient les clients. Elle encouragerait plus tard les femmes qualifiées qui hookaient pour elle à créer leurs propres designs, tout en précisant qu’elles devraient hooker ce qu’elles connaissaient. Elle préférait qu’elles hookent des sujets qui les intéressaient et les aidaient à mesure si un des éléments de leur patron s’avérait trop difficile à dessiner. C’est son souci du détail, des éléments du design et du savoir-faire qui a été la clé du succès de Cottage Craft.

Pour la transformation de la laine, Mowat a fait ses débuts avec de petits lots de laine filée à la main et teinte naturellement. Lorsque la demande s’est mise à augmenter, elle a commencé à ramasser des toisons vierges dans les régions voisines, à les récurer, les laver, les rincer et les teindre à la ferme, puis à les envoyer se faire carder et filer dans un moulin. Les laines à tricot, à hookage et à tissage étaient lavées de nouveau avant d’être utilisées, et tous les tapis étaient hookés en fils de laine.

Dans le petit salon de sa maison de ferme, qui donnait directement sur la rue, Mowat vendait et exposait des produits de laine faits à la main et appuyait l’économie locale. Elle employait des centaines de paysannes (ainsi que quelques hommes) et leur donnait un exutoire créatif en plus de l’argent qui leur était indispensable.

Proposée par sir James Dunn et lord Beaverbrook, elle a reçu un doctorat honorifique de l’Université du Nouveau-Brunswick en 1951. Mowat n’était pas une femme conventionnelle pour son époque ; elle a fait du lobbying auprès du gouvernement pour appuyer diverses industries agricoles locales, a acheté et conduit une voiture et ne s’est jamais mariée. Elle était une artiste, une force incroyable dans la collectivité qui a lancé des projets et inspiré tant de gens.

Elizabeth McLeod, Ph. D, 1875-1963

Elizabeth McLeod a d’abord étudié, puis enseigné les Arts appliqués au Ladies’ College et au département des Beaux-arts de l’université Mount Allison à Sackville. Au fil des ans, elle a vu l’accent passer de la création d’objets à la création d’œuvres d’art et le rôle des femmes se transformer alors qu’elles devenaient artistes. C’est une réalité qu’elle a aidé à concrétiser en tant que professeure et comme artiste. Elle inspirait effectivement les élèves à devenir elles-mêmes des artistes professionnelles.

Elle emmenait ses étudiantes visiter les labos de biologie pour s’inspirer des formes de la nature et les faisait créer des motifs pour des tapis sous forme de cartes postales comme devoir. Ces designs de tapis ont été hookés dans des communautés locales – Memramcook, Port Elgin, Aulac. Elle surveillait le processus de près pour s’assurer que les matériaux teints s’agençaient parfaitement avec les motifs. Bien qu’on ne sache pas si elle hookait des tapis, cette initiative aurait influencé ses élèves, mais aussi les femmes de la communauté qui hookaient pour elle.