
L’histoire des tapis hookés au Nouveau-Brunswick
Introduction
Le tapis hooké — l’art de faire des couvre-planchers et des pièces murales en passant des boucles de tissu ou de fils à travers une base tissée — au Nouveau-Brunswick, comme dans la majorité du pays, est surtout une affaire de femmes. Le hookage pouvait contribuer aux finances de la maisonnée, aider à influencer le rôle des femmes, dans la société, certes, mais aussi dans le monde des métiers d’art et des arts visuels. L’histoire, les matériaux et l’évolution des tapis hookés agissent aussi comme vitrine sur le monde des hookeuses et hookeurs, dont la place au sein de l’histoire culturelle du Nouveau-Brunswick est incontestable.
La sphère domestique et le rôle des femmes
Une panoplie d’artistes, de ménagères et d’entrepreneures, des femmes surtout, ont nourri l’art du hookage de leurs mains, de leur cœur et de leur esprit. Elles ont créé des tapis pour leur demeure, lancé des entreprises pour vendre des tapis et même sauvé l’art du hookage de la disparition à plus d’une reprise.
L’histoire du tapis hooké au Nouveau-Brunswick remonte à loin. Un des tapis datés les plus vieux a été confectionné ici même, dans cette province. C’est Abigail Smith, âgée de 13 ans, avec l’aide de sa sœur Susannah, qui l’a hooké à New Maryland au N.-B. en 1860. À l’époque, le rôle des femmes se situait principalement dans l’espace domestique. Elles avaient comme responsabilité de veiller à la demeure, d’élever les enfants et d’équilibrer le budget familial. En campagne, les femmes trayaient les vaches, élevaient des poules, entretenaient des jardins et trouvaient parfois d’autres façons de rapporter un revenu supplémentaire. Les femmes trouvaient difficilement du travail à l’extérieur de la maison, surtout dans les régions rurales, et quand il y avait des emplois, ils demandaient souvent les connaissances et les compétences complexes de la production textile, transmises d’une génération à l’autre.
Pour fabriquer un tissu artisanal, il fallait transformer un gros volume de laine. Bien que les femmes ne tondaient probablement pas les moutons elles-mêmes, elles lavaient la laine, en retiraient les matières végétales, puis effectuaient les étapes finales : le cardage, le filage et la teinture. Elles tissaient ensuite la laine en literie et en tissu pratique qu’elles cousaient pour faire des vêtements, ou elles tricotaient cette laine pour en faire des chandails, des bas et des mitaines pour leur famille ou même pour vendre. Afin de recycler les vêtements et les tissus qui arrivaient à la fin de leur vie, les femmes hookaient des tapis fonctionnels et souvent superbes qui allaient réchauffer et colorer leur demeure et rapporter les recettes de leur vente. Certains se souviennent que la famille ne gardait pas un seul tapis à la maison ; ils étaient tous vendus ou échangés contre d’autres nécessités de la vie.
Au début du XXe siècle, davantage de hookeuses commençaient à vendre leurs tapis. Certaines, comme Marie à Charles ou Ida Boudreau de Memramcook les vendaient de chez elles ou les accrochaient directement sur leur maison. D’autres créatrices les vendaient dans des magasins généraux ou lançaient de petites industries artisanales, comme l’ont fait Marie-Louise Allard Blanchard de Caraquet et Grace Helen Mowat du comté de Charlotte. De tous les points de vue, l’histoire des femmes et du hookage au Nouveau-Brunswick est synonyme de débrouillardise, de créativité et d’habileté.
Le déclin et la résurgence du hookage
À une certaine époque, on a commencé à voir des changements dans la société, à la maison et en hookage aussi. Les gens quittaient la campagne pour s’installer en ville, l’industrialisation et l’offre de couvre-planchers commerciaux éliminaient le besoin de hooker et le temps nécessaire à la confection de tapis.
Pourtant, le métier du hookage connaîtra plusieurs périodes de résurgence.
Vers la fin des années 1800, de nouveaux progrès technologiques — les métiers de cardage et de foulage — sont venus modifier l’histoire et l’économie du hookage. Ces petits moulins se sont installés dans presque toutes les régions de la province (La Hêtrière, Port Elgin, etc.). Les femmes ont vu l’énergie qu’elles devaient consacrer à la transformation de la laine réduite de moitié, ce qui a certainement aidé l’art à s’épanouir plutôt qu’à mourir.
Les récalcitrants à la technologie s’inscrivent aussi dans l’histoire du hookage. Comme l’artiste et concepteur anglais célèbre William Morris (1834-1896), qui a grandement influencé le mouvement international Arts and Crafts, dont les membres voulaient des choses faites main qui portaient la trace du savoir-faire de leurs créateurs. Les motifs de tissus de Morris sont devenus une ressource et une source d’inspiration pour les artistes du hookage d’aujourd’hui.
Aux suites de la Première Guerre mondiale, le monde a connu d’énormes changements sociaux. Alors qu’on rejetait l’époque victorienne, le rôle des femmes changeait. La création de tapis pour l’industrie artisanale des années 1920 était l’occasion idéale de rapporter un revenu supplémentaire, et les femmes en milieu rural hookaient avec une nouvelle volonté. Les antiquaires et les collectionneurs ont alors sérieusement commencé à s’intéresser aux tapis hookés. Cette vague aussi a ravivé l’art du hookage. À partir de ce moment, on a commencé à voir partout sur le marché des kits, des crochets et d’autres outils, des patrons et des fils destinés au hookage. Même le catalogue Eaton vendait des patrons imprimés prêts à hooker. En effet, dans les années 1880, le premier catalogue à offrir des patrons de tapis a vu le jour, puis au début des années 1900, Eaton’s et d’autres magasins à rayons proposaient aussi des patrons à sa clientèle. Presque tout le monde avait accès à ces catalogues qui stimulaient l’inspiration et ouvraient la porte à tout un monde de possibilités.
Les conséquences dévastatrices du krach financier des années 1930 ont poussé les gens vers l’autosuffisance. Ceux qui le pouvaient cultivaient des jardins et mettaient leur récolte en conserve. Ils se fiaient aussi aux métiers d’art traditionnels pour les aider à traverser la tempête. Afin de couvrir les planchers de bois nus pour réchauffer leurs pieds, et incapables de s’offrir les tapis importés offerts sur le marché, les femmes hookaient leurs propres couvre-planchers.
Après la Grande Dépression et la Seconde Guerre mondiale, le monde est redevenu prospère. Vers la fin des années 1940 et 1950, les revenus étaient plus élevés et les biens de consommation, beaucoup plus accessibles pour la femme moderne. Conséquemment, moins de gens hookaient.
Vers la fin des années 1960, cependant, une nouvelle génération ressentait le besoin de retourner à la terre, à ses racines, et souhaitait réapprendre à faire des choses de toutes pièces. Bon nombre de métiers d’art ont ainsi refait surface, dont le hookage.
Dans les années 1980 et 1990, les femmes se frayant une place sur le marché du travail tout en continuant de gérer maison et famille, le tapis hooké a perdu en popularité une fois de plus. De ce fait, une connotation négative a été associée au « travail de la femme », ce qui a peut-être contribué au déclin de l’art. Mais tout n’était pas perdu. C’est aussi l’époque où des enseignantes comme Doris Norman de Fredericton et Gabrielle Robichaud de Grand-Barachois ont redoublé d’efforts pour sensibiliser les gens quant au potentiel créatif du hookage.
À travers les déclins du hookage, les gens, des femmes surtout, ont su sauver cet art de l’obsolescence. Et chaque fois que cet art était ravivé, il évoluait.