L’économie

Le monde des métiers d’art et celui de l’économie s’entrecroisent souvent, et le hookage ne fait pas exception à la règle.

Les femmes néo-brunswickoises sont débrouillardes. Vers la fin du xixsiècle et au début du xxsiècle, elles hookaient des tapis pour les vendre. Elles les vendaient directement de leur demeure à des marchands itinérants ou s’organisaient pour les vendre à la maison d’une autre qui donnait directement sur un chemin emprunté par des touristes — comme chez Marie à Charles de La Hêtrière (Memramcook). Elles pouvaient aussi vendre leurs confections avec des coopératives dirigées par des femmes comme Marie-Louise Allard Blanchard de Caraquet et Grace Helen Mowat, fondatrice de Charlotte County Cottage Craft à Saint Andrews dans le comté de Charlotte.

Dans les années 1930, une frénésie s’est emparée du monde du hookage : des antiquaires américains sillonnaient la côte est du Canada et achetaient tous les tapis qu’ils pourraient revendre sur le marché américain. C’est pour cette raison que de nombreux tapis canadiens sont identifiés comme américains; les motifs et la culture du hookage de la Nouvelle-Angleterre et du nord de la frontière étant semblables. En effet, dans cette région, les frontières officielles n’étaient pas très importantes et les populations étaient sensiblement les mêmes : des peuples autochtones, des Acadiens et des Anglais occupaient tous ce territoire. L’histoire du tapis d’Abigail Smith illustre très bien cette confusion.

Tandis qu’en 1885, le Moncton Daily Times remarquait que les femmes d’Alma hookaient des tapis, on se demandait si cette entreprise serait fructueuse; les années qui suivirent ont démontré que ce serait effectivement le cas.

Le prix de vente des tapis variait grandement selon le lieu, la situation financière, la clientèle et le niveau d’organisation. En 1940, une publicité dans une revue annonce des tapis à vendre : de 0,75 $ à 2,75 $ le tapis. Cependant, lors d’entrevues pour le Registre des tapis, et d’autres consignées dans les dossiers d’Histoires matérielles du Centre d’études acadiennes Anselme-Chiasson (CÉAAC) de l’Université de Moncton effectuées dans les années 1970 et 1980, des femmes rapportaient avoir vendu leurs tapis 0,05 $ la pièce au début du xxsiècle tandis que d’autres n’acceptaient pas moins de 100 $ le tapis pendant la seconde moitié du xxsiècle. Aujourd’hui les tapis se vendent à un tarif établi par l’artiste. Le prix peut être calculé au pouce carré, selon la technique ou suivant d’autres critères comme l’originalité du design et les tarifs pour artistes professionnels.

Le milieu rural vs le milieu urbain

Dans la plupart des régions rurales, en raison de la rareté de l’argent, les gens devaient s’organiser avec les moyens du bord. Ainsi, ils créaient quelque chose à partir de presque rien : de superbes tapis avec des guenilles.

En campagne comme en ville, la création de tapis était un moyen pour les femmes d’exprimer leur créativité. La couleur, la texture et la forme étaient tout ce dont elles avaient besoin. Elles pouvaient créer des tapis géométriques ou à motifs aléatoires en se servant des restes d’autres tapis. On mettait à profit ces mêmes aptitudes pour créer des courtepointes en coton léger, tandis que les restes de laines de plus gros calibre et les tissus plus épais servaient pour les tapis.

La création de tapis était souvent un événement social où des amis se rendaient visite et travaillaient ensemble; les femmes hookaient, les hommes et les enfants coupaient les lisières.

Même si des tapis faits en usine ont commencé à être produits au pays dans les années 1820, ils étaient souvent bien trop coûteux pour la plupart des gens, or les riches habitaient souvent en ville.

Un autre contraste entre les gens de la ville et ceux de la campagne, Mlle Lilian Burke, qui a joué un rôle primordial dans l’établissement de l’industrie du tapis hooké à Chéticamp au Cap-Breton s’exprime ainsi sur les choix de couleurs pour les tapis à vendre : « Ici, vous avez la neige, et la glace et le froid, et bien sûr, lorsque vous entrez dans la maison pour vous réchauffer du froid, vous voulez des couleurs éclatantes et chaleureuses comme le rouge. Mais, en ville, les gens vivent différemment; ils ont plus de chaleur. D’ailleurs, certains vivent dans des climats plus tempérés, alors ils ne veulent pas nécessairement les couleurs qui sont à propos ici. Ils veulent des couleurs douces, plus atténuées… »

Les « peddleux » (ou vendeurs itinérants)

Les hookeuses et hookeurs du Nouveau-Brunswick échangeaient aussi leurs tapis pour des produits neufs. Au cours des entrevues du Registre des tapis du Nouveau-Brunswick partout dans la province, les hookeuses les plus âgées parlent souvent de la visite annuelle dans les années 1920 et 1930 de « peddleux » d’après le terme anglais peddlers : des vendeurs itinérants qu’on identifiait souvent comme juifs. On échangeait les tapis contre de nouveaux chaudrons ou même contre des morceaux de toile cirée, souvent appelée oil cloth chez les Acadiens comme chez les anglophones. Ce couvre-plancher lisse et plat était posé directement sur les planchers de bois nu et avait l’avantage d’être beaucoup plus facile à laver.

La culture du hookage chez les Acadiennes

Bien que les tapis des diverses sociétés colonisatrices acadiennes et anglaises partagent bien des traits en raison de la proximité des régions, on discerne tout de même certaines différences dans les tapis des communautés acadiennes du Nouveau-Brunswick. Là, les tapis confectionnés avec des fils de laine neufs étaient rares. Au Canada en général, les hookeuses utilisaient beaucoup de matériaux mixtes et recyclés, et les Acadiennes en particulier se servaient des défaisures ou défesures : de vieux vêtements démaillés. On coupait ensuite les fils sauvés, on les cardait et on les mêlait à de la nouvelle laine qui serait filée pour enfin être hookée. Les femmes acadiennes étaient aussi reconnues pour leurs fleurs sculptées.

L’impact du tourisme et les boutiques

Le tourisme a joué un rôle important dans les économies rurales, où les industries artisanales pouvaient s’épanouir et les kiosques routiers fournissaient une source de revenu modeste, parfois même le seul revenu, pour les ménages de la communauté. Il est clair que le tourisme représentait une bonne partie des recettes de la vente de tapis, que ce soit auprès de vendeurs qui sillonnaient la région pour acheter des tapis et les revendre une fois de retour aux États-Unis, ou aux touristes qui les achetaient eux-mêmes quand ils visitaient la région.

Par le passé, on vendait des tapis dans plusieurs lieux. Juste après la Première Guerre mondiale, on pouvait se procurer des tapis à la boutique de Marie-Louise Allard Blanchard à Caraquet et à celle de Grace Helen Mowat, Charlotte County Cottage Craft, à Saint-Andrews. Dans les années 1920 et au début des années 1930, le salon de thé Beauséjour à Aulac exposait sur ses murs des tapis à vendre et pour décorer. Dans les années 1940 et 1950, E. Madge Smith vendait des tapis dans sa boutique-atelier de Fredericton. Puis, au cours des années 1960 et 1970, les Gagetown Hookers proposaient leurs créations dans la boutique The Little Red School House à Whites Cove. Enfin, à la galerie de Gabrielle Savoie Robichaud, Le Clapet, à Barachois, on trouvait des tapis hookés par des gens du coin. Aujourd’hui, les tapis hookés représentent une part bien moins importante de l’industrie touristique des métiers d’art et, bien que certains artistes hookent pour vendre leurs tapis dans des boutiques, c’est une pratique moins courante qu’auparavant.

Les boutiques aujourd’hui

Aujourd’hui, bon nombre de boutiques proposent des patrons, des matériaux et des outils de hookage aux artistes modernes du hookage. L’achat en ligne et la facilité de voyager ont ouvert la porte à un éventail d’options. Au Nouveau-Brunswick, de petites entreprises offrent des laines ou du tissu teint, produisent des crochets tournés à la main et des patrons imprimés sur toile de lin ou de jute pour vendre lors de hook-ins (grands rassemblements de hookeuses et hookeurs qui se réunissent pour partager art, nourriture et conseils).

Hooker pour d’autres

Le hookage n’est pas souvent une entreprise solitaire : tout au long du xxsiècle, des femmes (et des hommes) ont hooké pour d’autres. Grace Helen Mowat avait son « usine sur 100-miles » composée de femmes hookant toutes de leur demeure pour son entreprise, Charlotte County Cottage Craft. Bessie McLeod, Ph. D., et ses étudiants en arts appliqués à l’Université Mount Allison à Sackville, ont dessiné des patrons de tapis destinés à être hookés là et dans la municipalité voisine de Memramcook. À Caraquet, Elmire Dugas Daigle hookait pour Marie-Louise Allard Blanchard, et même l’artiste Pegi Nicol MacLeod de Fredericton embauchait des femmes du coin comme une certaine Mme J. Pye Weed White pour hooker ses patrons et les vendre dans la boutique d’artisanat de Madge Smith. Plus tard, Yvonne Dupuis de Memramcook hookait des tapis pour des artistes comme Gabrielle Savoie Robichaud et Francis Coutellier. Les hookeuses et les designers travaillaient souvent en équipe. L’expérience de Lydia et Raymond Scott montre que le hookeur et la designer jouent un rôle d’importance égale dans la création d’un tapis.

Dans la région de Sussex, Howard Bowden dessinait des patrons pour sa mère qui les hookait.